Faire parler la photo: Les Amis de La Filature et Les Mots du Clic

Nous sommes abreuvés d’images  par les revues, les médias sociaux, la publicité. Nous les survolons rapidement sans en déchiffrer véritablement le sens. Comment apprendre à regarder une image, une photographie pour la décrypter véritablement ?

C’est l’association Stimultania qui nous apporte la réponse, grâce au jeu qu’elle a développé : Les Mots du Clic. Laure Canaple, qui travaille pour cette association, est venue nous le présenter à La Filature et animer avec talent un atelier de formation. Une quinzaine de membres des Amis de La Filature y participaient, ainsi que 3 membres de l’équipe de l’accueil du public de La Filature.

Après s’être présentés à l’aide d’une photo qu’ils avaient choisie, les participants ont analysé par groupes de 5 ou 6 personnes 3 photos qui leur ont paru particulièrement intéressantes. Le jeu a alors commencé avec 3 équipes  répondant collectivement aux questions posées par des cartes qui proposent des adjectifs pour décrire la photographie. Le jeu est en fait une analyse chorale (collective) de l’image, guidée par une série de 6 thèmes qui vont aider à la décrire et la décrypter. Les 6 thèmes abordés sont : caractéristique, apparence, temps, espace, volonté, référent. Pour chacun des thèmes, une série d’adjectifs sont proposés par des cartes et l’équipe doit sélectionner  le plus approprié pour qualifier la photo.

Voici les 3 photos avec lesquelles nous avons joué et les propositions faites par l’équipe.

Ce qui caractérise le mieux cette photographie, c’est la construction : un cercle occupe le centre de l’image, le sumo est au centre du cercle, les bras horizontaux parallèles au sol coupent le photo en deux, une ligne blanche tangente le cercle. Le nombril du Sumo est au centre exact  de l’image, le regard se porte vers nous.

Concernant l’apparence, nous choisissons unanimement le qualificatif l’un dans l’autre après avoir discuté sur l’équilibre. Equilibre s’applique à la composition de l’image symétrique et harmonieuse, à la répartition de  lumière et ombre, mais aussi la posture du sumo. Mais l’un dans l’autre caractérise mieux cette image , le sumo au centre du cercle de feu étant le sujet central de celle-ci.

Pour le temps, nous choisissons  simultanément qui traduit le fait que le photographe a saisi un instant fugitif où le sumo s’accroupit sur la pointe des pieds au centre du feu en le regardant. Le qualificatif lentement aurait pu aussi s’appliquer, car le sujet lourd et massif paraît se mouvoir sans hâte.

L’espace semble marqué par les limites : limites spatialesle cercle de feu, la ligne blanche, l’enclos visible derrière le sumo sont autant de limites visuelles structurant l’espace. Mais aussi limite du statut du sumo (homme ou dieu, hubris), limite de la masse corporelle, limite de la position instable du sumo.

Quelle est la volonté du photographe en saisissant cette image ? Nous hésitons entre surprendre et interroger. La présence de ce sumo accroupi en plein air, au centre d’un  cercle d’un feu allumé sur des cailloux a de quoi surprendre. Mais cette image interroge aussi, car son message n’est pas immédiatement lisible : la tradition de l’art du sumo est-elle ici mise en cause ? Il y a aussi une dimension mystique. S’agit-il ici d’une cérémonie initiatique, magique ou religieuse?

Que nous évoque cette image, de quoi parle -t-elle? Comme référent nous choisissons le mot tradition :  le photographe pose-t-il la question de la  survivance  d’une tradition ancienne menacée par la vie moderne ?

Avec les six mots retenus par l’équipe, nous allons alors former une description de la photo en quelques phrases. Ainsi sont proposées:

L’avenir du Sumo : L’équilibre de cette construction où les lignes se frôlent et jaillissent simultanément d’un cercle de feu nous interroge sur l’évolution des traditions. Restent-elles dans leur limite l’une (forme) dans l’autre où brûlent-elles dans la modernité?

Equilibre instable : Un sumo se tient en équilibre instable au centre d’un cercle de feu. Ils forment  l’un dans l’autre une construction qui interroge simultanément sur les limites des traditions et les limites du corps humain.

L’Homme sumo : En construisant ce bel équilibre simultané, l’un dans l’autre  (sumo et feu), se pose la question des limites humaines, sportives et les limites des traditions.

 

Un autre groupe  a commenté la photo ci-dessous :

  • Photo très contrastée, portrait classique « posé » minutieusement cadré sur fond blanc (mur ou  studio ?), personne africaine assez ambiguë ( plutôt une femme, mais ni la pomme d’Adam ni la naissance des seins ne sont visibles à cause des colliers et la coiffure …?  ) enduite d’ocre rouge : la couleur reste donc essentielle.
  • Regard en coin, un peu ironique voire réprobateur, mais pas du tout craintif. Portrait presque ethnographique, témoin d’un monde en voie de disparition et qui évoque des livres photos comme  » Vanishing Africa  » ,  » The last of the Nuba  » ou les tribus Indiennes d’Amérique !
  • L’équipe a choisi ces mots  pour chaque thème : caractéristique : société/tribuapparence : magnifié, temps : toujoursespace : près, volonté : cadre, référent : objet.

 

Le texte obtenu collectivement avec les mots choisis ou des dérivés :

 » Prends-moi en photo pour magnifier ma tribu ,

mais je ne te dirai pas qui je suis.

Prends-moi de près, bien cadré(e).

Portrait figé à tout jamais,

mais  mon secret reste bien gardé . »

 

Enfin, une troisième équipe s’est penchée sur ces portraits de femmes qu’elle ont intitulés: « Silence, ça pousse« :

 

 

Pour cette photo, la caractéristique choisie fut idée, l’apparence détournée, le temps crescendo, l’espace à l’intérieur, la volonté interroger, et le référent société et voici l’une des phrases proposées pour la décrire :

Deux femmes presque entièrement recouvertes d’un voile épais se détachent sur un fond sombre et nous regardent. Leurs corps ont presque entièrement disparu, pour ainsi dire gommé, mais à l’intérieur pousse une plante verte. Par ce procédé du détournement, le photographe nous suggère l’idée qui s’impose à nous crescendo : ces femmes nous interrogent sur la place que leur réserve la société.

 

En fin de séance, Laure Canaple   a contextualisé ces photos dans le travail de leurs auteurs que l’on pourra consulter avec les liens suivants:

– Charles Fréger, série Himbas (2007) : http://www.charlesfreger.com/fr/portfolio/himbas/

– David Favrod, série Gaijin (2009) : http://www.davidfavrod.com/Pages/GAIJIN/GAIJIN_TEXT.html

– Maïmouna Guerresi: https://www.maimounaguerresi.com/

 

Cette initiation à la lecture photographique nous permettra certainement d’animer  les expos photos de La Filature en utilisant le jeu « Les mots du clic » avec les membres de l’association.

2 commentaires

  1. Merci pour ce post très clair et captivant, sur ce qu’a dû être cette rencontre. Merci d’avoir si bien décrit et développé ces pistes de décryptage, ce qui me console un peu de n’avoir pu participer à cette rencontre !

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