Présentation minute de spectacles

Introduction minute à « Angels in America »

Auteurs : Suzanne Klein et Jean Steffan

Angels in America est une  pièce crée en 1991. Elle se déroule au milieu des années 1980, sous les présidences de Ronald Reagan et George Bush.  A New York, les vies de plusieurs personnes s’entrecroisent, liées par le contexte républicain, l’homosexualité, l’apparition du sida.

Les années 80 s’ouvrent dans un climat libertaire

Les années 80, cela peut paraître proche et loin à la fois.

Les années 80 sont des années de grande liberté, dans le prolongement des années 70 qui avaient transformé la société. Rappelez-vous les émissions de télévision de Michel Polac où tout le monde fumait, et où on s’invectivait dans le brouillard des fumées de cigarette !

La libération sexuelle était à son apogée. David Hamilton faisait son marché de jeunes filles prépubères sur les camps naturistes du Cap d’Agde, pour les photographier nues. Ses livres ne faisaient pas scandale, ils étaient même très appréciés d’un large public.

La pédophilie est aussi portée aux nues. Gabriel Matzneff écrivait à cette époque : « Coucher avec un enfant une épreuve baptismale, une aventure sacrée. Le champ de la conscience s’élargit, les remparts flamboyants du monde  reculent«

Gabriel Matzneff apparaissait dans l’émission de Bernard Pivot avec les louanges de la communauté littéraire.

Aux Etats Unis, au début des années 80, la libération sexuelle est aussi à l’ordre du jour. Dans « Le monde selon Garp » un roman qui eut beaucoup de succès, John Irving exprime une grande colère contre l’intolérance et la discrimination sexuelle dont témoignent certains face à toute pratique qui n’entre pas dans leur cadre de référence familier.

C’est en 1977, qu’est organisée la première Gay pride parisienne pour se battre contre la pénalisation de l’homosexualité. Il faut rappeler qu’à cette époque, l’homosexualité était punie par la loi et ce n’est qu’en 1982 qu’elle est dépénalisée en France. Elle est aussi dépénalisée aux USA, bien qu’au milieu des années 1980, l’homosexualité reste encore passible d’une peine dans la moitié des États des USA.

Avant 1980, l’homosexualité était considérée comme un trouble mental. La libération des mœurs amène les psychiatres à remettre en cause cette conception. En 1980 ils retirent l’homosexualité du DSM, l’ouvrage de référence des psychiatres américains sur les troubles psychiques.

Mais le SIDA met fin à l’euphorie

Ainsi, un vent d’insouciance souffle sur plusieurs générations qui se sentent entièrement libres de profiter de leurs corps et des plaisirs de la chair. Mais l’ivresse prend fin, ou du moins entame son déclin, un jour de juin 1981 qui marque le début de l’épidémie de sida.

Des médecins de San Francisco et de New York font le constat que nombre de patients homosexuels souffrent d’asthénie ou de perte de poids. Au fil des mois, les malades se multiplient. En première ligne : les homosexuels ayant de nombreux rapports sexuels. La maladie est d’abord appelée « gay cancer », « gay pneumonia » car les cas connus ne concernent alors que des hommes

Des dizaines de milliers de jeunes hommes meurent en l’espace de quelques mois. Si l’on vous disait que vous étiez séropositif, pour beaucoup, cela signifiait que dans un an, vous étiez mort. Parmi les personnes ayant attrapé le virus dans les années 80, seule une sur dix a survécu.

Il n’y avait pas de traitement, l’utilisation de préservatifs était la seule méthode de prévention possible. Ce n’est qu’en 1987 qu’arrive l’AZT, mais ce traitement reste très lourd avec beaucoup d’effets secondaires.

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Comment réagit la communauté homosexuelle ?

Un musicien d’un groupe de rock, alors âgé de 25 an, interrogé par le journal Libération dit à propos de cette période:

On n’abordait jamais la question du sida. Personne n’en parlait. On apprenait qu’untel était hospitalisé, qu’il ne venait plus. On ne disait rien. Il y avait un climat pesant sur la contamination, on n’en discutait jamais. Car tout était synonyme de mort.

Comme beaucoup de jeunes n’osaient confier à personne le secret de leur vie sexuelle, cela rendait la maladie et l’agonie encore lus douloureuses et solitaires…

Le cas de Freddie Mercury,  leader du groupe de rock Queen, mort en 1991, est un exemple parmi beaucoup d’autres de la dissimulation de cette maladie perçue comme honteuse. Sa séropositivité a été découverte en 1987, mais il annoncera juste avant son décès qu’il était porteur du Sida.

Qu’en disent le public  et les politiques?

Les premiers articles des grands médias titraient sur un “cancer gay”, apposant “un côté sulfureux, scandaleux sur la maladie”. Bien que l’on sache que la maladie était sexuellement transmissible et ne touchait pas que les homosexuels, mais aussi les toxicomanes et les femmes, il restait dans l’esprit du public que le sida était un fléau qui ne concernait que les homosexuels.

Il existait une véritable stigmatisation des personnes contractant le sida, étiquetées comme gays. En 1987, Jean-Marie Le Pen avait assimilé les « sidaïques » à « une espèce de lépreux ».

Cette stigmatisation des malades atteints du sida par une majorité de la population amenait les politiques à rester en retrait vis-à-vis de cette épidémie, et à ne pas agir pour aider les malades souvent en situation précaire. Aux USA, l’assurance maladie n’est pas assurée par la sécurité sociale mais par les citoyens eux-mêmes,  le coût des soins causés par cette maladie invalidante dépassait souvent de beaucoup les moyens dont disposaient les malades.

John Irving condamne fermement l’attitude de Reagan, alors président des Etats Unis. Il écrit : « Il y a eu son silence, sa passivité, son abandon des malades à leur sort. Il y a eu plus de New-Yorkais morts du sida que d’Américains tués au Viet-Nam !

Devant l’absence d’aide des pouvoirs publics, des associations d’homosexuels basées sur le bénévolat se sont créées pour prendre en charge les frais des malades et pour les accompagner jusqu’à la mort. 

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C’est dans ce climat que nous allons retrouver les personnages de « Angels in America ».

Tony Kushner

Tony Kushner est un dramaturge américain, new-yorkais, qui a 56 ans aujourd’hui. Il renoue avec la grande tradition dramaturgique américaine : Tennessee Williams, Eugene O’Neill, Arthur Miller. Mais il est également nourri par le théâtre classique européen qu’il connaît parfaitement, pour avoir traduit et adapté aussi bien Goethe, Brecht, Corneille. C’est un auteur atypique, extrêmement prolixe et éclectique. Outre de très nombreuses pièces de théâtre, il est l’auteur de plusieurs essais, de 4 livrets d’opéra, il a écrit des scénarios de plusieurs des films de Steven Spielberg, ainsi que le scénario de la mini-série Angels in America, de Mike Nichols, d’après sa propre pièce.

La pièce

« Angels in America » s’ouvre sur le prêche d’un rabbin, lors de l’enterrement de la grand’mère de Louis. Le rabbin s’enflamme dans l’évocation des familles d’immigrés qui ont fait ce long et périlleux voyage, depuis les villages de la Lituanie et de la Russie, pour arriver aux Etats-Unis, pour faire grandir leurs familles « dans ce pays étrange, dans ce grand creuset, dans ce melting pot où rien ne se mélange. L’Amérique n’existe pas« . Et il conclut : « Cette traversée qu’elle a faite, vous ne pourrez jamais la refaire, parce que les grands voyages comme ça, dans ce monde, ça n’existe plus. Mais chaque jour de votre vie, tous ces kilomètres qui naviguent entre là-bas et ici, vous les traversez. Parce que ce voyage, il est en vous« .

Le premier volet de la pièce a été écrit en 1989, il s’intitule Millenium approaches (Le millénaire approche) et devant son immense retentissement et succès national, Tony Kushner écrit une suite qu’il intitule Perestroïka. Au début, Tony Kushner pensait que cette pièce allait durer 2 heures, mais au fur et à mesure de l’écriture, elle s’est allongée, elle a visiblement eu besoin de bien plus d’espace et de temps, puisqu’ensemble, les deux parties, qui forment un tout, durent 7 heures…

Le titre original complet de la pièce est Angels in America, a gay fantasia on national themes (Des anges en Amérique, une fantaisie gay sur des thèmes nationaux). En effet, le théâtre de Kushner est un théâtre toujours politique qui aborde des sujets ancrés dans son temps, tout en déployant une dimension d’universalité. Les références à l’histoire américaine et à ses valeurs fondatrices sont omniprésentes. Bien au-delà de l’Amérique au temps du sida, Angels in America révèle l’état politique et moral des Etats-Unis des années 80 (l’histoire se déroule en 85). A sa sortie, la pièce fait scandale parce qu’elle parle sans aucun tabou de sexualité, de politique, de sida, de religion, mais aussi d’amour, de vies intérieures, d’anges et de fantômes, mais aussi de pouvoir, d’immigration, de catastrophe écologique et de menace nucléaire, pour ne citer que les plus importants. C’est dire la densité et la puissance du texte. C’est dire aussi son aspect prémonitoire, 15 ans avant les attentats du 11 septembre, 30 ans avant l’arrivée de Donald Trump à la présidence.

Argument et personnages

Parmi les 8 acteurs de la pièce et la vingtaine de rôles qu’ils incarnent, on suit principalement les vies entremêlées de 5 hommes, tous homosexuels, dans une mosaïque d’intrigues. Quatre d’entre eux sont de jeunes trentenaires très différents, très attachants : Prior, Louis, Joe, Belize. Le cinquième, Roy Cohn, plus âgé, a un statut particulier. Dans la pièce, c’est un avocat new-yorkais renommé qui incarne l’Amérique de Reagan, mais aussi l’Amérique de Trump, une Amérique effroyablement paradoxale. En effet, Roy Cohn est à la fois homosexuel et homophobe, juif et antisémite. Il est profondément sexiste, raciste et corrompu jusqu’à la moelle. Il est la figure absolue du mal, il se nourrit de haine, il est en permanence dans la transgression. Or, même s’il est ici un personnage de fiction, Roy Cohn a vraiment existé. Roy Cohn était l’ami du père de Donald Trump et il a été son premier mentor. Jeune avocat, il a été le bras droit du sénateur Mc Carthy dans son hystérique croisade anti-communiste (chasse aux sorcières). Enfin, il a été l’adjoint du procureur qui a envoyé à la chaise électrique le couple Rosenberg, juifs communistes accusés d’espionnage au profit de l’URSS, en juin 1953.

Son universalité

Au fond, l’enjeu de Angels in America, c’est comment lier entre elles des tragédies individuelles, des vies ordinaires marquées par l’homosexualité et le sida, pour en faire une épopée non seulement nationale, mais universelle ? Pour répondre à cet enjeu, Kushner multiplie les symboles, les allégories, les références religieuses, bibliques, culturelles, historiques, mythologiques. Il met en dialogue un très large éventail d’opinions et de personnages qui font figure d’archétypes. Chacun des personnages de la pièce incarne une Amérique à sa façon. Chacun incarne une identité, plutôt du côté des minorités : juifs, noirs, gays, mormons. Et chacun avec son identité fabrique un pays, fabrique une nation. C’est une collection de singularité qui fabrique de l’universel.

Conclusion

Alors que le sida et la mort planent d’une manière omniprésente sur la pièce, elle est pourtant une pièce pour la vie, une ode à la vie. Comme dans la vraie vie, les couples se font et se défont, l’humour est présent en même temps que les drames. Au final, la pièce se termine dans la lumière et l’espoir. Prior, qui est l’élu à la maladie, mais aussi l’élu à la prophétie, termine la pièce sur ces paroles : « Nous n’allons pas disparaître. Nous ne mourrons plus dans un secret honteux. Le monde va sans cesse de l’avant. Nous serons des citoyens à part entière. Le temps est venu. Et maintenant, au revoir. Tous, vous êtes formidables, tous et un par un. Je vous bénis. Et longue vie. Le Grand Œuvre peut commencer« .

Pour aller plus loin :

  • Angels in America, mini-série DVD de Mike Nichols, avec Al Pacino, Meryl Streep, Emma Thompson, 2003.
  • John Irving, A moi seul bien des personnages, roman, 2012.
  • Tim Murphy, L’immeuble Christodora, roman, 2016.
  • 120 battements par minute, film de Robin Campillo, 2017.
  • France Culture – Entretien avec Arnaud Desplechin, 28′ – Entretien avec Pierre Laville, traducteur de la pièce : « Prior Walter ou des anges en Amérique », 28′
  • Dossier pédagogique Canopé n° 327, Pièce démontée, janvier 2020

Roy Cohn (1927-1986)

Célèbre avocat new-yorkais. Anticommunisme et ambition conduisent ce démocrate à devenir l’éminence grise et l’exécuteur des basses œuvres du sénateur républicain, MacCarthy, écartant Bobby Kennedy de ce poste qu’il briguait.

Amateur d’autodafés, ce fils issu d’une famille juive s’acharnera contre les Rosenberg, jouant dans leur procès un rôle aussi trouble que souterrain.

Ses liens avec le jeune héritier, David Shine, seront indirectement la cause de la chute de MacCarthy. Désireux de soustraire son ami à ses obligations militaires, il prétendra l’armée infiltrée par les communistes et poussera MacCarthy à constituer une commission d’enquête, ce qui se révèlera un faux pas fatal.

Après la chute de MacCarthy, Cohn est impliqué dans des affaires douteuses. C’est un avocat aussi talentueux que sans scrupule. On lui intente plusieurs procès (pour pression sur les jurés, chantage, corruption etc.), dont un à la suite d’une enquête lancée contre lui par Bobby Kennedy, devenu ministre de la Justice. Cohn s’en sort chaque fois. Jouant un rôle politique occulte, il aidera à saboter plusieurs campagnes présidentielles démocrates.

Ami de Norman Mailer, d’Andy Warhol, de Frank Sinatra, du chef du FBI, de J. Edgar Hoover, du cardinal Spellman et des présidents Nixon et Reagan, il travaillera aussi pour le milliardaire Donald Trump et pour des parrains de la mafia. Ce qui ne l’empêchera pas d’être couvert de dettes : au moment de sa mort, il devait 7 millions de dollars au fisc.

C’est pour avoir emprunté une grosse somme d’argent à l’une de ses clientes qu’il sera finalement rayé du barreau.

Acharné contre les homosexuels durant le maccarthysme, combattant par la suite les mouvements gays pour les droits civiques, malgré des rumeurs insistantes, Roy Cohn a toujours nié être homosexuel. Officiellement malade d’un cancer du foie, il est mort à l’hôpital en 1986. Quelques semaines auparavant, des journalistes avaient révélé qu’il était soigné à l’AZT.

Son nom figure dans le patchwork géant de Washington, brodé par les organisations gays à la mémoire des morts du SIDA, avec cette inscription : « Roy Cohn, 19274-1986. Lâche, salaud, victime ».

Source : L’Avant-Scène 957 – page 76

Othello : Intro-minute

Intro-minute présentée par Dominique Réal  à La Filature le 29 novembre 2019

spectacle mis en scène par Aurore Fattier

La tragédie dans l’oeuvre de Shakespeare et dans l’histoire culturelle:

La pièce fut écrite en 1603, jouée en 1604 , devant le roi Jacques 1er Stuart, sous le titre Le Maure de Venise. Elle fut publiée à partir de 1622, après la mort de Shakespeare (1564-1616).

C’est une pièce de la maturité, classée dans le groupe des grandes tragédies: Hamlet, Le Roi Lear, Macbeth, à l’apogée du théâtre élisabéthain, âge d’or du théâtre anglais et peut-être mondial.

Source:

Un conte, extrait d’un recueil de Cinzio Giraldi, publié en Italie, au milieu du XVIème s. (1565-1567). Shakespeare en a conservé la trame, raccourci la narration, traînante et mélodramatique, intensifié les trois personnages principaux, évacuant la vraisemblance du fait-divers, au profit de la force tragique.

Cette pièce est singulière:

Isolée dans l’oeuvre, ne ressemblant à aucune autre, elle a connu un succès public continu depuis 1604, mais a suscité d’énormes empoignades de critiques, portant sur la nature de son tragique et sur ses rapports avec le reste de l’oeuvre.

Car, il y a un « mystère » Othello

…malgré une apparente clarté favorisée par une extrême économie de moyens:

L’unité d’action: c’est une tragédie domestique. Comment un si noble héros devient le meurtrier de sa femme. Tout se joue dans sa tête.

Le cadre limité est contemporain de l’écriture, à peu près dépourvu de contexte historique et les éléments surnaturels ou merveilleux, chers à l’auteur, en sont absents. On a donc pu parler du « réalisme » de la pièce.  La construction est très rigoureuse: c’est la plus courte liste de personnages de l’oeuvre; l’action la plus rapide, qui vise à ne laisser à Othello aucune occasion de réfléchir et d’échapper à la manipulation d’Iago; les péripéties extérieures sont limitées au strict minimum logique.

C’est donc une pièce très nette, qui ne repose que sur la beauté de la langue, la stature des personnages, l’intensité tragique.

Or, il y a, dans Othello, un double usage de la tromperie…

La tromperie est le thème de la pièce. Iago est un maître-fourbe qui infecte l’esprit d’Othello, pour le détruire.

La tromperie est aussi un procédé dramaturgie subtil : Shakespeare empêche le spectateur de se rendre compte à quel point il est absurde qu’Othello tombe dans le panneau d’Iago. Il utilise, à cet effet, un temps double, une double horloge. Le temps court, précipité, de ce qui se déroule sur scène ; Le temps long, mental, suggérant qu’un fait imaginaire, l’adultère, a réellement eu lieu.

Shakespeare nous berne, comme Iago berne Othello.

… et les trois personnages restent profondément énigmatiques :

Iago :

C’est le manipulateur, le spécialiste de l’emprise, qui insinue un « ver  rongeur » dans la tête d’Othello. Il met les plus grandes capacités (intelligence, ruse, dissimulation, audace, vitesse) au service d’un cynisme sans limite. Tout lui sert de carburant: la haine, l’envie, l’échec professionnel, la misogynie, la jalousie sexuelle, la crainte d’être cocu… Mais, quel est le ressort profond de sa méchanceté ? Coleridge parle de « la chasse aux mobiles d’une méchanceté sans mobile ». D’où des interprétations très divergentes. On en a fait une allégorie du Malin, un personnage machiavélien (Le Prince a paru en 1516), un personnage sabine qui atteint la perfection dans la cruauté et dans sa jouissance, le plus fascinant de la collection de « villains » du théâtre élisabéthain. Et un régal pour les psychanalystes et les psychiatres.

Cependant Iago n’est que l’agent de la tragédie, pas le centre. Car, son personnage n’évolue pas, il est donné tout entier dans la première scène.

Othello :

C’est à l’intérieur de son âme que se déroule toute l’action tragique. Othello, c’est un renversé. Au début, il a tout pour lui: beauté, prestige, autorité, maîtrise de lui-même, noblesse, amour. C’est un héros plus que parfait. A la fin, c’est le sauvage assassin de sa femme, aveuglé de haine, une cervelle fendue entre l’abjection, le dégout de soi et l’indulgence vis-à-vis de lui- même. Entre les deux, il subit un retournement instantané: Iago l’a attaqué au défaut de sa cuirasse. D’un seul coup, il a désintégré l’ idéalisation héroïque d’Othello, par cette insinuation: « Je n’aime pas cela…». En effet, Othello est une tragédie de la méconnaissance de soi, de l’illusion sur soi.

Othello est un être sûr de lui, absolument dépourvu de doute, de conscience critique. Il s’est pris d’une passion complaisante pour sa propre  construction, sa réussite professionnelle, sociale, amoureuse, apparemment idéale. Il suffit à Iago d’insinuer dans son esprit une représentation avilie de lui-même (sa femme le tromperait) pour que tout l’édifice s’écroule. Incapable de s’adapter, de résister, il devient instantanément le négatif de ce qu’il croyait être. La jalousie est entrée en lui d’un coup et a tout fait  exploser. Mais, Shakespeare ne s’intéresse pas à son étude, à la différence de Proust. Il aurait aussi bien pu anéantir Othello par un doute sur sa légitimité professionnelle ou sociale.

Desdémona :

Pour nous, c’est la plus mystérieuse. Héroïne parée de toutes les vertus, énergique, déterminée, elle rompt avec sa famille, par amour absolu. Séduite par le récits des hauts faits d’Othello, elle le suit, au mépris des conventions de sa classe. Elle accepte sa cruauté, se soumet à sa violence, se débat peu, meurt presque passivement. Sans haine. Elle ment pour le disculper.

Shakespeare nous donne les moyens d’appréhender ses personnages, mais pas de les comprendre. Enigmatiques, ils sont donc disponibles pour toutes les lectures. Aucune, portant, n’épuise le malaise du spectateur ou du lecteur.

 

Aurore Fattier fait une lecture personnelle audacieuse

Elle introduit bien des différences par rapport à ce qui précède :

Ses partis-pris sont affirmés :

Elle veut nettoyer la tragédie des clichés séculaires qui l’accompagnent, en particulier, depuis le XIXème s., les clichés racistes du noir sauvage, dominé par ses pulsions sexuelles, tueur de femme blanche. Elle y a cependant recours, par contraste. Elle tente d’ « habiter Othello du dedans »: un étranger, parti de rien, fou d’amour, se croyant complètement intégré dans la Cité ( une espèce de général Bonaparte de la République de Venise ), quoiqu’il y soit seul de sa sorte: il est Noir. Iago lui retourne la cervelle, de sorte qu’Othello s’exclut lui-même du monde dans lequel il croyait avoir un si haut destin, jusqu’à tuer et se tuer.

Le travail est solide: une bonne traduction, une adaptation avec ajouts, une réflexion approfondie sur les échos contemporains.

Les anachronismes sont délibérés. Aurore Fattier dit qu’elle a voulu en faire « un thriller chic, dans une esthétique de film noir, un esprit free-jazz ».

 

Le spectacle est pluridisciplinaire

Il dure plus de trois heures, pour une pièce qui n’est pas très longue.

Il mêle théâtre, la tragédie de Shakespeare, deux fragments d’une nouvelle d’André Pieyre de Mandiargues, tirée du Musée noir, réécriture d’Othello dans le sud des Etats-unis au début du XXème s., des vidéos, enregistrées ou filmées en direct, des éléments sonores divers, musicaux  (free-jazz, chant lyrique, chansons sentimentales ) ou non.

La scénographie, économe et souple est efficace.

Le style est résolument baroque

Ça foisonne: multiplication des espaces scéniques, des époques, profusion des pistes suggérées, tricotage de plusieurs types de textes, techniques cinématographiques ( hors-champ, changements d’échelle, bande-son ), masques…

C’est intelligent: de nombreuses scènes, filmées en gros-plan, sur scène et dans une loge Algéco, confinée, impliquent le spectateur, le rendent complice des manipulations.

C’est modernisé, pour faciliter l’accès à une pièce de 400 ans. Mais, c’est risqué :

La perte de beauté, de préciosité, de puissance poétique de la langue, plutôt qu’à la reproduction est due à une très mauvaise sonorisation, à la diction,  et, plus ennuyeux, au choix des comédiens.

L’étirement du spectacle ne fait-il pas perdre la tension tragique précipitée du texte d’origine?

C’est paradoxal Aurore Fattier a voulu faire de la tragédie la plus dépouillée Shakespeare un spectacle aussi foisonnant, éclaté, complexe que les autres grandes tragédies, Hamlet, Le Roi Lear, Macbeth.

Comment et pourquoi?

Introduction minute à SAÏGON

Peu de spectateurs de Saïgon, présenté récemment à La Filature, ont eu la chance d’assister à l‘introduction minute de Dominique Réal.

Il n’est pas trop tard pour se plonger dans l’histoire troublée de l’Indochine et du Viet Nam et pour découvrir  les propos de Caroline Guiela Nguyen sur le spectacle qu’elle a crée :  Saïgon

L’Indochine, un trou dans la mémoire française 

Je savais depuis peu que j’aurais à présenter ce spectacle, lorsque j’entendis Caroline Guiela-Nguyen dire que Saïgon était un spectacle « documenté », pas un documentaire. Son expression m’a intriguée et orientée vers la piste d’une mémoire vivante, communicative, qui fermentait encore.

Peu après, je suis allée à Strasbourg, successivement dans deux excellentes librairies. Je n’y ai trouvé qu’un seul ouvrage sur l’histoire contemporaine du Vietnam. Solide d’ailleurs : Viêt-Nam, fractures d’une nation,  une histoire contemporaine de 1858 à nos jours ; édition La Découverte.Si l’Asie du sud-est avait été, cette année, au programme du Capes ou de l’agrégation d’histoire, ma perception aurait été biaisée. Là, pas de doute : l’Indochine, le Viêt-Nam, même, sont tombés dans un  trou de silence, n’intéressent ni les auteurs, ni les lecteurs, sauf aux rayons tourisme et cuisine.

Du coup, j’ai convoqué ma propre mémoire de l’Indochine : maigre butin.

Un service à café en porcelaine « de Chine », très mince, à dragons bleus sur fond blanc. Quelques bijoux, dont un bracelet de jade et d’or, trop fragile pour être porté. Le tout offert à ma grand-mère par sa sœur, épouse d’un officier qui fit sa carrière aux colonies, dont plusieurs années en Indochine.

Le même bracelet exactement, au poignet d’une vieille dame de mon village du Gers, dans les années 60.

Le même grand-oncle officier, à la tête d’un groupe de soldats ou de coolies, travaillant des rizières en Camargue, pendant la deuxième guerre mondiale.

Le mot « eurasien /eurasienne » qu’on entendait dans les années 50.

Un oncle de mon mari, réputé « tête brûlée », engagé volontaire en Indochine. Non sans séquelles. Mort jeune.

Une conversation où j’entendis pour la seule fois, à 60 ans, le mot « gna kwé ». L’équivalent de plouc, de bouseux, de melon…

Des fragments de mémoire culturelle : Le Barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras, Le Crabe-tambour et La 317ème Section de Pierre Schoendorffer.

C’est peu. Bien sûr, j’ai éliminé toute connaissance ultérieure d’ordre professionnel.

Si j’avais interrogé chaque personne présente, le trou aurait-il été moins grand ?

 

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L’Indochine coloniale, 1858-1954

Les facteurs de la conquête 

  • L’effacement de la Chine, puissance régionale, déchirée par les guerres civiles, au 19ème s., incapable de protéger son vassal du sud, l’Empire du Viêt-Nam. Fondé en 1802, il réunissait pour la première fois tous les Vietnamiens, du nord au sud, dans un Etat centralisé et moderniste, semblable au Japon de l’ère Meiji, en moins efficace.
  • Une vigoureuse offensive missionnaire catholique, en Asie du sud-est, qui suscita de violentes persécutions antichrétiennes, de la part de l’Empire du Viêt-Nam.
  • La pression des milieux d’affaires et des militaires français (la marine), dans un contexte de vive concurrence avec les Anglais, pour accaparer le marché chinois, à partir du delta du Mékong (région de Saïgon), que l’on croyait être la voie la plus rapide.

Conquête militaire brutale 

1858-1887

Alternance de coups de force et de négociations diplomatiques, elle fut plutôt subie que voulue par les gouvernements français : ils se laissèrent faire, quand les amiraux-gouverneurs de la péninsule leur apportèrent de nouveaux territoires conquis.

La conquête, très violente par nature, se fit du sud au nord. (Lire Pierre Loti, Trois journées de guerre en Annam).

Elle fut suivie d’une longue phase de « pacification », de 1887 à 1905, qui n’écrasa jamais complètement la résistance à la colonisation.

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La colonisation

Ce fut une humiliation. Moins d’un siècle après l’unification des Vietnamiens en un seul Etat, la France le disloqua en trois morceaux : la Cochinchine, au sud, avec le statut de colonie ; l’Annam et le Tonkin, au centre et au nord, deux protectorats, fédérés avec le Laos et le Cambodge, dans l’Union Indochinoise, créée en 1887. Il s’agissait d’affaiblir le sentiment national vietnamien. Ce fut l’inverse qui se produisit.

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Elle provoqua une acculturation complète : toutes les structures sociales, administratives, économiques, anthropologiques furent bouleversées. Or, elles étaient remarquablement stables et plutôt équilibrées.

Elles furent remplacées par une économie de prédation, caractérisée par la lourdeur des impôts en argent et en travail, par l’appauvrissement des agriculteurs vivriers et des artisans (90% de la population), par l’exportation de produits agricoles, forestiers, miniers, par la structuration des infrastructures urbaines et de transport uniquement en fonction des exportations.

Il est à noter que l’Indochine fut la seule zone rentable de l’empire colonial français.

La colonisation suscita une collaboration : En 1945, on comptait environ 28 millions de Vietnamiens et 35000 Européens. Pour administrer directement , la collaboration d’une fraction de la population était indispensable. Elle se fit par intérêt ou par espoir d’une reconnaissance par la métropole de l’émancipation et de l’égalité des droits. Elle fut surtout le fait d’anciens lettrés de la caste mandarinale et de fonctionnaires francophones, issus des 10% d’enfants vietnamiens scolarisés.

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D’autres choisirent la rébellion. Jamais éteinte, elle prit toutes les formes : jacqueries, guérilla, mutineries, terrorisme. En général d’un très haut niveau intellectuel, les acteurs de la rébellion  venaient de milieux politiquement  extrêmement variée : lettrés maquisards, sectes religieuses violentes, partis nationalistes réformistes et révolutionnaires, précocement marxistes, soutenus par le Guomintang chinois, l’envahisseur japonais, le parti communiste chinois, selon les cas.

Ceci servit à justifier une féroce répression : bombardements, fusillades, exécutions sans jugement, arrestations, déportations dans des bagnes, dont le sinistre îlot de Poulo. La répression nourrit la radicalisation du sentiment national, surtout à partir des années 1920.

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La guerre d’Indochine

Indochine et Algérie furent les deux seuls et les deux premiers cas de décolonisation par la guerre de la part de la France. Deux défaites.

Le Japon joua un grand rôle : la défaite française de juin 1940, face à l’Allemagne, permit au Japon, dictature militaire raciste, d’occuper l’Indochine. Un régime administratif mixte, franco-japonais (1941-1945) aggrava l’exploitation coloniale (par exemple, il y eut 2 millions de morts de faim en 1944-45. En sous-main, les Japonais entretinrent le racisme anti-blanc, en soutenant les courants nationalistes vietnamiens, sauf les communistes. Parallèlement, le Guomintang chinois soutint , contre les Japonais, un front révolutionnaire indépendantiste vietnamien, très hétéroclite, le Vietminh (créé en 1941), dirigé par les cadres du Parti Communiste indochinois clandestin : Hô Chi Minh, Giap, Pham Van Dong. Le Vietminh organisa des maquis et commença à noyauter les campagnes.

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C’est le vietminh qui remporta la course à l’indépendance : le 9 mars 1945, les Japonais désarmèrent le militaires français et favorisèrent « l’indépendance » proclamée par l’empereur Bao Dai , et un gouvernement projaponais.

Le Vietminh saisit alors l’opportunité, se présentant aux Alliés, USA, URSS, GB, comme anti-japonais, non inféodé à la Chine et surtout capable de déclencher le soulèvement général du Vietnam, grâce à l’ALN, l’armée de libération nationale vietminh. Ce qu’il fie, en Août. Bao Dai abdiqua. Le 02/ 09/1945, à Hanoï, Hô Chi Minh proclama la République démocratique du Vietnam.

Dès lors, les ultra, Vietnamiens et français, poussent à la guerre, ruinant toute tentative de compromis négocié.

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Ce fut une guerre coloniale, née de la volonté, déjà périmée en 1943, de de Gaulle, de restaurer la grandeur de la France , en reconquérant l’Indochine. Cependant, pragmatique, il laissa latitude au général Leclerc, chef du Corps Expéditionnaire Français d’Extrême-Orient, de négocier avec le Vietminh qui semblait incontournable. Mais, cette position fut durcie, après le retrait de de Gaulle (1946) par les va-t-en guerre du MRP au début 4ème république, sous la pression du lobby colonial et de l’armée. Issue des Forces Françaises Libres, elle voulait effacer l’humiliante défaite de 1940 face aux Allemands.

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Mais ce fut, d’abord, une guerre civile : 600 000 Vietnamiens se combattirent ; 90 % des victimes furent vietnamiennes. L’objectif du Vietminh était double : chasser les français et unifier tout le Vietnam du nord au sud, sous sa domination. Or, dès septembre 45, dans le sud, des nationalistes vietnamiens anticommunistes firent alliance avec les français, contre le Vietminh.

En réalité, de 1945 à 1976,, pro et anti-vietminh guerroyèrent pour imposer chacun sa légitimité.

Ce fut, aussi, à partir de 1949, un « front chaud de la guerre froide », contemporain de la guerre de Corée. Le Vietminh reçut massivement aide financière, logistique, militaire, stratégique, de la Chine, communiste depuis octobre 1949, et de l’URSS. La France et le Vietnam sudiste anticommuniste reçurent argent et armement des USA.

Pourtant, la France s’enlisa :

D’un côté:

  • Le CEFEO : 200 000 hommes, 1/4 d’Européens, surtout officiers et sous-officiers, 3/4 de troupes coloniales  d’Afrique du nord et d’Afrique. l’armée nationale sudiste : 200 000 hommes.

Sans appui de la population, surtout à la campagne, armés de façon hétéroclite, souffrant du climat, mal commandés : la tactique était mal adaptée à la guérilla des adversaires, dont on avait sous-estimé le nationalisme ; fautes stratégiques lourdes ; manque de crédits. En gros, les français tiennent  le jour les routes reliant des fortins isolés. La nuit est au Vietminh.

de l’autre :

  • Le Vietminh, 125 000 soldats réguliers, 75 000 miliciens, 300 000 « forces populaires » civiles, garçons et filles très jeunes ; dénuement militaire, mais patriotisme en acier, réservoir inépuisable d’hommes déterminés à mourir ; stratégie intelligente d’évitement et de harcèlement de l’ennemi, selon le modèle de la guérilla maoïste. Progressivement le Vietminh prend le dessus. Le 7 mai 1954, le camp retranché de Dien Bien Phu capitule, entraînant la chute du gouvernement.

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Pierre Mendès-France, investi président du Conseil, liquide la guerre et la colonisation, en signant les accords de Genève, en juillet 1954. Ils prévoient le partage provisoire du Vietnam en deux, sur le 17ème parallèle, des élections générales avant 2 ans, le départ des Français.

Il n’y eut jamais d’élections, les USA prirent le relais de la France, dans la « guerre du Vietnam ». La guerre civile des vietnamiens dura encore 22 ans. Le Vietminh l’emporta et imposa sa dictature et la réunification, en 1976.

Dans cette histoire chaotique et impitoyable, une infinité de groupes ont, tour à tour, été victimes. Leurs douleurs ont été tues, de gré ou de force. Le passé n’a jamais été purgé. Tous ces groupes sont les fragments hétérogènes d’un pays de fantômes.

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Saïgon, une oeuvre polyphonique consacrée à ces porteurs de mémoires éclatées

C’est un tressage de langues, d’accents, que nous aurons parfois du mal à comprendre, mais qui font entendre la diversité des origines, des idiomes, des générations.

C’est le résultat de deux ans de travail collectif : un long processus d’enquête, de rencontres, d’immersion, à Hô Chi Minh Ville (ex-Saïgon), dans le 13ème arrondissement de Paris, suivi de l’écriture au plateau, par des comédiens, professionnels et amateurs, Français et Vietnamiens, Nationaux et en exil. Porteurs d’expériences différentes, ils ont élaboré un récit ensemble, rapproché des mondes séparés par l’Histoire.

Le lieu glisse : un restaurant vietnamien, cuisine à gauche, karaoké à droite. A Paris ? A Saïgon ? Les deux.

L’époque balance : de 1956, 2 ans après la défaite française. Le Vietnam victorieux, indépendant, provisoirement coupé en deux, rêve encore d’unification. Pourtant, la guerre civile couve. Les Français partent, civils et militaires, et, avec eux, les Vietnamiens les plus menacés ou les plus compromis. On les appelle les Viet Kieu, les Vietnamiens de l’exil.

…à 1996 : après l’effondrement soviétique, une loi du régime communiste vietnamien autorise le retour des Viet Kieu.

Qu’ont encore en commun ceux qui sont restés et ceux qui sont  partis ?

Le couple mémoire/Histoire

Le restaurant, Saïgon, la ville, ne concernent pas seulement les Vietnamiens, les Français installés en Indochine, ceux qui s’y sont battus, leurs descendants. C’est un lieu « où notre mémoire travaille », « un lieu qu’une communauté réinvestit de son affect et de ses émotions », selon Pierre Nora, historien , concepteur de la notion de lieu de mémoire.

Caroline Guiela-Nguyen écrit : «  Je ne veux pas de discours sur les gens, je veux les gens eux-mêmes. La colonisation est dans le coeur même de ces êtres humains. » Son propos est l’Histoire sous sa forme intime ; comment elle a traversé tant de vies, s’est divisée en histoires particulières, comme un fleuve se divise en bras.

« La France doit se raconter au-delà de ses frontières. Nous sommes faits d’autres histoires que la nôtre, nous sommes faits d’autres blessures que les nôtres. »

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Retrouver le trajet des larmes

Caroline Guiela-Nguyen réveille des êtres manquants, des voix éteintes.

« Hô-Chi-minh-ville est une ville blessée qui a son propre fantôme, Saïgon. Saïgon est une ville morte, gonflée d’histoires et de mythes » ; elle est « chargée d’histoires de départ, d’exil, elle est peuplée d’êtres qui manquent dans les familles et c’est cette absence qui engendre la fiction. Paradoxalement, plus la mémoire que l’on a de l’autre est en péril, plus nous avons besoin de nous souvenir. C’est comme cela que nous créons du mensonge, du mythe. Il y a toujours quelqu’un à pleurer et tout l’enjeu de notre spectacle est de retrouver le trajet des larmes. »

Le mélodrame est omniprésent dans la vie quotidienne des Vietnamiens : karaoké, chansons populaires qui disent l’amour, l’exil, la mort, les fleurs. C’est la permanence pudique de la nostalgie, de la douleur, la douleur de l’impossible retour.

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introduction minute au triomphe de l’amour

Voici l’introduction de Nicole Ott au Triomphe de l’amour de Marivaux ,

mis en scène par Denis Podalydes

Quelques éléments biographiques

MARIVAUX naît à Paris le 6 février 1688, soit à l ‘aube du XVIII siècle qui crée une rupture importante avec le classicisme. Fils d’une famille de petite noblesse, c’est néanmoins en province qu’il passera sa jeunesse, IL monte à Paris pour faire des études de droit pour suivre la voie paternelle, mais sa rencontre avec FONTENELLE l ‘engage dans une carrière littéraire. IL fréquente les salons de madame de LAMBERT ou de madame de TENCIN. A l écoute de ces conversations savantes dans un milieu raffiné, le jeune homme forge sa sensibilité et développe son sens de l ‘observation critique.

Amoureux du théâtre et de la vérité, spectateur lucide d’un monde changeant, PIERRE CARLET de CHAMBLAIN DE MARIVAUX s’est voulu inventeur d’idées et de langage nouveaux, c’est ce qu’il appelait « penser en homme « . Il est reconnu comme un brillant moraliste, une sorte de nouveau LA BRUYERE.

Son mariage avec Colombe Bologne le met un temps à l ‘abri du besoin mais très vite la banqueroute du financier LAW le ruine et il doit alors travailler pour vivre. De plus, il perd sa femme en 1723 et a une petite fille qu’il devra élever seul.

Portrait de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (1688 – 1763) dit Marivaux,

Son oeuvre

Il écrira un roman, la vie de Marianne, dans lequel il analyse la psychologie de l’héroïne. La narratrice revoie son passé et s’interroge sur l’amour, la sincérité et la reconnaissance sociale du mérite personnel.

Il écrira au moins quarante pièces de théâtre

Dans ses comédies philosophiques – l ’île des esclaves ou encore la colonie – il fait du théâtre un nouveau moyen d’imaginer de nouvelles relations humaines. Marivaux développe dans une contrée imaginaire son analyse sociale et psychologique des relations entre individus qui est une constante de son œuvre.

Les   comédies amoureusesle jeu de l’amour et du hasard ou encore les fausses confidences – lui permettent d’explorer les surprises, les secrets et les masques du cœur humain pris au piège des intérêts et des préjugés.

A partir de 1742, il est élu à l’Académie française sous l’influence de madame de TENCIN dont il fréquente le salon.

La vie n’a pas toujours été facile pour Marivaux : sa fille dut entrer au couvent car son père ne pouvait la doter honorablement.

Finalement, il va mourir à PARIS LE 12 février 1763.

 

QU’EST QUE LE SIECLE DES LUMIERES ?

Le XVIII siècle, marqué par l’importance des sciences exactes et par la critique de l’ordre social et de la hiérarchie religieuse traditionnelle, a été nommé le siècle des lumières. Les écrivains de l’époque sont convaincus d’émerger de siècles d’obscurité et d’entrer dans un nouvel âge illuminé par la raison, la science et le respect de l’humanité. L’éducation est alors considérée comme ayant le pouvoir de rendre les hommes plus vertueux, plus moraux. L’optimisme et l’enthousiasme sont donc des traits dominants chez les penseurs des Lumières.

A cette époque naît une querelle littéraire des Anciens et des Modernes. Charles PERRAULT lit à l’Académie un poème- le siècle de LOUIS XIV- dans lequel il met en doute la supériorité des poètes antiques sur les poètes modernes. FONTENELLE aussi récuse l’idéal classique en affirmant : rien n’arrête tant le progrès des choses que l’admiration excessive des anciens « . Accusés de sacrilège par les partisans de la tradition que sont BOILEAU, LA FONTAINE, LA BRUYERE, les Modernes ouvrent la voie à une esthétique qui mêle le naturel et la préciosité.

Marivaux a la passion du théâtre

Marivaux reprend à son compte les valets dont le personnage d’Arlequin ou les petits bourgeois. Les représentants de la noblesse sont toujours doublés par des valets, plus ou moins lucides, plus ou moins manipulateurs.

Il établit toujours un double jeu :

– celui tout extérieur des querelles, des déguisements et des manipulations.

-celui aussi du jeu plus secret, parfois inconscient de l amour qui naît et craint de se faire découvrir.

Ce double jeu, nul ne pouvait mieux le traduire que ces italiens issus de la commedia dell’ arrêt, tantôt scandant la pièce avec une folle vivacité, tantôt mimant jusqu’aux extrêmes nuances, riant des yeux et pleurant des lèvres.

Ce langage de l’âme ne passe seulement par les mots, mais aussi par le corps : leur naïveté n’est pas seulement dans leur discours, mais aussi dans leurs gestes, dans leurs mimiques, dans leurs regards ….

Le triomphe de l’amour

Le triomphe de l’amour est une pièce en 3 actes représentée pour la première fois par les comédiens italiens le 12 mars 1732.

QUEL EST L ‘ARGUMENT ?

La princesse de SPARTE se déguise en homme sous le nom de PHOCION. Elle voudrait partager le trône avec AGIS, le fils des anciens rois capturé à l’âge de 8 ans et qui vit avec un austère philosophe, HERMOCRATE, et sa chaste sœur, LEONTINE. A l’attrait du devoir se joint celui de l’aventure et de la conquête. Travestie en garçon, Léonide se présente à la maison de la sagesse, séduit la vieille fille sous son déguisement, puis le vieux maître en avouant sa qualité de femme qu’elle n’a voulu cacher, dit-elle, que pour mieux approcher l’admirable philosophe.

Pour Agis, tout va de soi. Il la voit à peine que déjà il s’éprend d’amitié pour ce joli garçon et s’émerveille que l’amitié puisse offrir tant de douceur.  « Je suis fille, AGIS », avoue la princesse : c’est la douceur de l ‘amour.  Aussitôt plus folle reprend la mascarade. Fille ou garçon, Léonide n’a montré que des attraits trop sûrs. Pour l’épouser, la vieille sœur renie ses vœux de chasteté et le vieux maître balaie 40 ans de prudence. Viennent-ils enfin à se découvrir bernés, ils se tournent vers la perfide. Mais que faire contre une reine et contre l’amour ?

Une citation du livre de Marcel ARLAND : » je l aime pour son caprice, son bondissement sans cesse renouvelé et même pour son extravagance « résume bien les caractéristiques de la pièce.

La scène se passe dans un jardin où il est aisé de se cacher : il est divisé par des massifs ou des bosquets : on peut se cacher dans ces compartiments, attendre que d’autres soient partis, y espionner, y avoir des rencontres clandestines ; on peut aussi y être surpris.

Quelle est la morale de l’ histoire ?

La première leçon est comique

  • Le jardinier et le valet sont évidemment corrompus. On y voit la roublardise, le bagout de l’un ou l’autre.
  • Agis aussi peut nous faire rire car il est naïf. Il n’empêche nous savons que le bonheur va lui être apporté.
  • Le philosophe et sa sœur sont comiques aussi, mais Marivaux souligne ici son empathie avec eux. Ils réalisent qu’ils ont été bernés. Marivaux respecte toujours ce qu’il y a d’humain dans leur comportement et rire ne l’empêche pas de porter une attention compréhensive à ceux dont il se moque. Marivaux affirme  » il n’y a point d’homme qui soit digne de se moquer des erreurs d’un autre « 

La deuxième leçon est morale

-L’amour doit toujours être mis à l’épreuve, même si cet amour est un coup de foudre, lui tendre des pièges qui, s’ils ne le découragent ou ne détruisent pas, font triompher la vérité.

  • La conquête du cœur d’AGIS est difficile : Agis est pur et droit. Tromper quelqu’un qu’on aime quand le cœur humain est si facilement aveugle, ce n ‘est pas pour Marivaux profiter de sa faiblesse, c’est l’aider à savoir ce qu’il veut et à le vouloir vraiment.
  • Quant aux deux protagonistes, le philosophe et sa sœur, ils ont été trompés eux aussi. Ils ont été cruellement humiliés, cela doit suffire. A la fin de la pièce, les malheureux font face à leur découverte de l’amour, leur inquiétude, leur trouble. L’épreuve est donc finalement positive pour eux car ils ont compris leur faiblesse.

 La troisième leçon est politique

  • Sans elle, la comédie se résumerait à une banale histoire d’amour entre un prince et une princesse.
  • . MARIVAUX pense que pour régner il faut que les puissants soient bons. Dans cette pièce, Agis doit régner par le cœur et non par la violence. Le souverain doit être porteur de bonnes attitudes et faire preuve de loyauté.
  • LEONIDE, la princesse de SPARTE, fait preuve ici d’une profonde et exigeante loyauté : quand elle remet le trône à AGIS, elle agit en véritable souveraine, faisant montre d’une grande générosité, omettant de châtier Harpocrate et Léontine.

En conclusion

MARIVAUX n ‘a eu de cesse de poser le problème entre le cœur et la raison, entre la condition sociale et l’identité authentique des êtres. Non seulement il est un moderne par rapport aux anciens, mais il est en plus en   avance sur son temps : on pourrait le considérer comme un préromantique, car il analyse les émotions.  C’est pourquoi on peut parler de l’humanisme de Marivaux.

Introduction minute des Bacchantes

 selon Euripide, mis en scène par  Sara Llorca

par Nicole Ott,

des Amis de La Filature

 

La tragédie en Grèce

Athènes a inventé la tragédie, création singulière qui après avoir fasciné les Romains, a fécondé l’imagination européenne de Shakespeare aux classiques français, de Goethe jusqu’aux dramaturges contemporains.

L ‘origine religieuse de la tragédie est incontestable. Aristote affirme, en effet, qu’elle dérive du culte de Dionysos : lors de cérémonies rituelles, des choeurs chantaient des hymnes en l’honneur du dieu.

La tragédie a acquis une existence officielle en 534 avant Jésus Christ. L’âge d’or de la tragédie coïncide avec l’âge d’or de la démocratie athénienne. La    tragédie ne se contente plus d’exalter la grandeur des héros mais elle met en question les situations auxquelles les hommes sont confrontés, instaurant ainsi une conscience tragique de la condition humaine.

Le théâtre alors était un plaisir populaire et collectif. Les représentations avaient lieu en plein air dans des théâtres immenses. La tragédie du V siècle avant Jésus Christ était un lieu de rassemblement pour maintenir et développer les fondements moraux. Le rôle de dramaturge n’est pas de divertir mais de d’éduquer ses concitoyens, il se devait, dès lors, d’être porteur d’une vision.

Aucun souci de réalisme ne présidait à la représentation, cérémonie solennelle et impressionnante. On parle alors de catharsis , une façon de susciter chez le spectateur la terreur ou la pitié en opérant ainsi une épuration des passions.

Il y a trois auteurs antiques : Eschyle, Sophocle et Euripide.

EURIPIDE a vécu de 485 à 406 avant Jésus Christ. La tradition lui attribue 92 tragédies, il ne nous en reste que 18. Il était connu pour sa sympathie sans égale pour les victimes de la société, femmes incluses. On a l’habitude de regrouper les pièces en 4 groupes : les légendes sur la guerre de Troie , les légendes des Atrides , les légendes Attiques,et les légendes Thébaines auxquelles appartient la pièce Les Bacchantes. Elle fut écrite en 405 avant Jésus Christ au moment de la guerre contre le Péloponnèse, la fin de l’ère grecque est proche, Euripide écrit de l’exil.

Le dieu Dionysos

Il est le fils de Zeus et d’une mortelle Sémélé. Sur les conseils de Hera, la femme de Zeus, la mère Sémélé a demandé à son invisible amant de se montrer à elle dans toute sa gloire et Zeus apparaissant sous la forme de l’éclair a consumé la malheureuse. Mais Zeus a miraculeusement sauvé Dionysos en le cousant dans sa cuisse, d’où l’expression  » être né de la cuisse de Jupiter. »

Né à Thèbes, il retourne dans sa ville natale pour y imposer son culte orgiaque.

Dans la mythologie grecque, Dionysos est le dieu de la vigne, du vin et des excès, de la folie et de la démesure. Il est une figure majeure de la religion grecque. Ses festivités sont liées au cycle annuel et notamment au retour du printemps. Son culte est également marqué par des fêtes orgiaques féminines célébrées par ses accompagnatrices, les ménades ou les bacchantes.

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Quelle est l’histoire des Bacchantes ?

Elevé loin de Thèbes, Dionysos retourne dans sa ville natale pour y imposer son culte orgiaque.  Il est le fils, de ZEUS et d’une mortelle Sémélé, la fille de Cadmos, le fondateur de Thèbes. Sémélé, sa mère a été foudroyée par Zeus. Les soeurs de celles-ci, Autonoé, Ino et Agavé ainsi que Penthée refusent de croire en cette union et d’honorer Dionysos comme un dieu. Revenu sous les traits d’un mortel, Dionysos cherche à se venger de Penthée et de tous ceux qui nient sa divinité. Dionysos convainc Penthée de se déguiser en femme. Guidé par l ‘étranger qui n’est autre que Dionysos, devenu un faux complice, Penthée surprend les bacchantes dans la montagne se rendant ainsi coupable d’un des sacrilèges les plus graves : la violation des mystères. Penthée est terriblement châtié, déchiré vivant par sa mère, Agavé. Penthée reconnaît enfin au moment d’expirer la puissance divine de Dionysos, fils de Zeus. Pour se venger, Dionysos avait rendu Agavé, sa mère, possédée et elle découvre quand elle retrouve la raison qu’elle a tué son propre fils Penthée. Devant l’étendue de son malheur, l’irrésistible pouvoir du dieu, condamnés à s’exiler, Cadmos et ses filles dont Agavé, la mère de Penthée, ayant tout perdu patrie, famille et postérité.

On peut tirer 2 en enseignements de cette pièce :

Les bacchantes ou le drame de l’impiété

Tout d’abord, le dénouement des Bacchantes nous apparaît conforme aux croyances de l’époque.  Révérons les dieux, tel est le message : c ‘est la première leçon « grande, évidente, toujours tournée vers notre bien  » vers 1006-1007 des Bacchantes.

D’autre part, dans le cours du V siècle avant Jésus Christ, l’homme apprend à compter avant tout sur ses propres capacités. De nombreux traités fleurissent notamment ceux d’Hippocrate et la rhétorique pilier de la culture antique, cette forme de science qui évite de viser trop haut pour satisfaire les besoins humains ceux de son corps comme ceux de son esprit. La réussite dépend seulement de la compétence du technicien .

Plusieurs citations du texte sont très explicites :

  • « science n’est pas sagesse « ,
  • « Quand on a un esprit modeste, quand on ne cherche pas de mauvaises défaites sur les dieux et qu’on reste dans la mesure humaine, on a une vie sans tourments « 
  • C’est l’ époque où Protagoras écrit en préliminaire de son traité « en ce qui concerne les dieux, je ne puis savoir ni qui ils sont,  ni qui ils ne sont pas, car beaucoup de choses nous empêchent de le savoir surtout l’ obscurité de la question et la brièveté de la vie humaine . « 

C’est donc, bien des années avant Voltaire, la philosophie de tous les  sophistes :  » cultivons notre jardin  » c’est à dire essayons de faire ce que nous pouvons à la mesure de nos capacités .

La faute de Penthée c’est de ne pas être assez humble, de ne pas être capable d’accepter de vivre en paix avec soi-même, avec autrui, avec les dieux, de se satisfaire de son lot en se tenant à sa place.

  • Ce dieu de la fécondité, Dionysos, apporte à l’humanité un bonheur plus élevé que celui de l’opulence matérielle, une félicité spirituelle que le bacchant découvre dans une communion avec la grande nature animée par Dionysos. Aussi les bacchantes lydiennes ne peuvent comprendre pourquoi Penthée persécute ce dieu bienfaisant.
  • Le Dionysisme met le bonheur suprême dans la contemplation de la nature : ne pas chercher à connaître le monde pour le posséder mais au contraire pour se laisser posséder par lui, s’abandonner, sans passer par la connaissance, s’abandonner aux forces qu’il recèle, afin de communiquer avec son dieu.
  • Ainsi le destin du roi Penthée doit convaincre le spectateur qu’il se perd en voulant tout dominer et qu’il doit faire leur juste part à ces forces obscures de l’être qui inquiètent parce que l’homme n’en a pas le contrôle mais qui seules peuvent le porter dans ces régions supérieures auxquelles ne permet pas d’accéder la raison.

Les Bacchantes ou le parti pris des femmes

La  femme athénienne est une éternelle mineure d’âge  qui ne possède ni droit juridique, ni droit politique ..  Ventre avant tout c’est à dire estomac et sexe, la femme est asservie aux fonctions naturelles. On sait que le mot « polites » qui veut dire « citoyen  » n ‘a pas de féminin.

Des 3 tragiques grecs, Euripide aurait trahi en prenant fait et cause pour les femmes, en féminisant la tragédie antique. Euripide manque aux sentiments nationaux en apprenant à parler aux femmes. Euripide est le seul des tragiques grecs qui ait donné lieu à des commentaires sur la représentation des femmes. C’est qu’il est le seul à avoir traité les femmes comme telles, à avoir fait surgir une question des femmes.

Dans le texte qui nous interroge aujourd’hui, la version de la débauche des femmes vécue par Penthée  sera infirmée, contredite  par le récit très détaillé du messager, témoin oculaire de la conduite irréprochable des Thébaines surprises dans la montagne.

  • « elles dormaient toutes, les membres détendus ; certaines avaient porté leur tête, au hasard, décentes et non pas comme tu le dis enivrées par le vin. »
  • Elles, chassant de leurs yeux un sommeil profond, se dressent debout, spectacle d’une merveilleuse décence, jeunes, vieilles, vierges libres encore du joug. »
  • Le texte nous interroge ici : le personnage de Penthée reçoit la mort non pas des femmes mais de sa haine des femmes, de son hubris misogyne (c’est à dire de son excès, de son arrogance ) qui lui fait perdre le sens de la mesure et de la réalité.
  • Dionysos impose à Penthée de se déguiser en femme : la femme lubrique n’est autre que Penthée : il est châtié ou faut -il dire châtré ?
  • Telle est la catastrophe euripidienne qui, une fois encore, retourne le chasseur en gibier et révèle le coupable sous le justicier. Justice soit donc rendue aux femmes.

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Enfin, il s’agit aussi d’un conflit politique

Dionysos est un dieu féminin qui défend la cause des femmes c’est à dire qui s’oppose aux conflits générés par les hommes, qui de guerre en guerre perdent la jeunesse.

  • Il s’agit de porter le présent , c’est aussi le supporter , consoler contre sa finitude, adoucir les peines de la vie. Il faut remarquer que la leçon ne s’applique pas à Penthée seulement cité 2 fois mais à la ville dans son ensemble. Il s’agit d’un conflit politique, d’un enseignement adressé à la cité entière, plus de guerres, plus de batailles inutiles qui ravagent la jeunesse.
  • Pour les bacchantes, il ne s’agit plus de s’imposer par une victoire éclatante mais d’aspirer à la beauté quotidienne, seule apte en une quête patiente à se garantir des aléas du temps. L’éternité que visent les bacchantes n’est pas l’immortalité qui consacre après la mort la gloire des héros mais l’intensité d’une vie qui se règle au fil des jours et des nuits sur son rythme naturel. Il s’agit selon la belle formule de « passer jusqu’à son terme sa vie dans le bonheur de chaque instant ».

« qui est la première parmi les bienheureux

aux fêtes joyeuses et à leurs belles couronnes,

qui a pour charge de conduire les choeurs

et les rires au son de la flûte « .

 

En conclusion , on voit que la pièce des bacchantes peut résonner aujourd’ hui alors qu’on parle de la condition des femmes, de l’autre, de l’étranger et des guerres qui ravagent le monde.