On peut voir en ce moment à la galerie de La Filature une exposition de photos de Cristina de Middel. Les Amis de La Filature ont eu le privilège de la primeur de l’exposition. Ils ont pu assister à l’accrochage après la traditionnelle rencontre de début d’année du 4 janvier où ils ont apprécié la galette des rois.
Muchismo, titre de l’exposition, pourrait être considéré comme la contraction en anglais de much is more, ou bien un mélange d’espagnol et d’italien avec mucho (beaucoup en espagnol) suivi du substantif issimo. Dans tous les cas, cela exprime la quantité, le surnombre. On dirait en français Plus que plus. Et de fait, cette exposition rassemble 430 photos, ou plutôt devait rassembler 430 photos puisque qu’une vingtaine n’est pas arrivée à bon port et se trouve encore quelque part en transit!
Christian Caujolle, commissaire de l’exposition souhaitait présenter une rétrospective de l’oeuvre de Cristina de Middel qui a émergé comme une artiste incontournable dans le bouillonnement récent de la création artistique en Espagne. Cristina a proposé d’exposer le travail qu’elle a présenté dans des galeries ou des expositions au cours des 5 dernières années, en réunissant l’intégralité de ses tirages. D’où la profusion des photos, présentées dans des formats et cadres divers. La réussite en photojournalisme exige une grande quantité de tirages et beaucoup de lecteurs, dit Cristina, dans l’art c’est le contraire: on organise la rareté. Une photo d’art n’est tirée qu’en petit nombre d’exemplaires (5 ou 10), et les galeries d’art présentent souvent une unique photo sur un immense mur blanc. Cristina prend ici avec humour le contre-pied de cette mode et conteste le marché de l’art en affichant des murs de photos.

L’accrochage: Emmanuelle Walter et Crisitna de Middel expliquent aux Amis de La Filature le concept de l’exposition à 4 mains

Les murs blancs s’apprêtent à recevoir les photos. Sur la table, des feuilles imprimées préfigurent la disposition des photos.
Cristina a commencé sa carrière comme photojournaliste chez Magnum, mais au bout de quelques années, elle éprouve une lassitude et une frustration de voir que le photo reportage est traité de façon standardisée et immuable. Les années passent et les photos qui illustrent les conflits mondiaux sont toujours les mêmes, dit-elle. Mêmes images, mêmes mots accompagnent les reportages. Les images publiées dans la presse ou sur internet interrogent aussi sur la véracité des faits. Est-ce une représentation de la vérité ou une manipulation? Aujourd’hui, au moment où les « fake news » envahissent les médias, on peut toujours se demander la part de vérité que contiennent les informations. De cette frustration naît l’idée de créer son propre récit en images. Il s’agit alors de mettre en scène des histoires vraies ou insolites, qui peuvent même parfois paraître invraisemblables. C’est ainsi que démarre le projet qui a connu un très grand succès : Les Afronautes. En 1962 en Zambie, un professeur de sciences affirme pouvoir battre les Soviétiques et les Américains.L’enseignant monte un ambitieux projet intitulé “Afronautes”. On conçoit un camp d’entraînement près de la capitale et sélectionne douze volontaires. Dans le camp, ils entretiennent leur condition physique, s’initient à l’apesanteur avec un système de balançoires. Dix chats sont de l’expérience. Pour concrétiser son projet, le conquérant de l’espace zambien demande 7 millions de livres zambiennes à l’Unesco, l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture. Les fonds n’arriveront jamais. Le programme sera abandonné, puis oublié. Cristina de Middel a reconstitué cette histoire avec des gens ordinaires. Quand on cherche des images sur l’Afrique dans Google, quelles images trouve- t-on? Des Massaïs qui dansent ou des tribus primitives, pas des gens qui vont dans un bureau de poste ou une banque. Ce projet met en évidence les préjugés dont nous sommes coupables. Il nous amuse car ce projet spatial est mené en Afrique. Nous aurait-il amusés si il avait été entrepris en Norvège ou en Finlande? Cristina n’ira pas en Zambie pour photographier les vestiges de ce projet, mais trouvera au cours de ses voyages africains des modèles qui illustreront son propos.
Elle applique la même démarche aux autres projets qu’elle réalise: Dans West Side Story, elle recrée dans les rues de New York des scènes du film culte avec des passants qui acceptent d’être figurants. C’est une critique de la photo de rue (Street photography) aujourd’hui très populaire. La photo de rue, dit-elle, est vide de sens. Elle s’applique à fixer un moment décisif, mais elle ne montre rien au- delà du talent du photographe à saisir cet instant.
A l’issue d’un voyage en Chine, elle publie un livre qui dénonce le communisme de façade du régime. Les photos sont accompagnées de textes du petit livre rouge de Mao qui s’y rapportent, dont elle a couvert de blanc tout ce qui n’est plus an vigueur. Il n’en subsiste que quelques mots épars.
Une autre série est inspirée par un livre décrivant la terreur d’un enfant Yoruba du Nigeria, enfermé dans une forêt sacrée au cours d’une initiation. Il ne peut s’en échapper et y reste prisonnier 30 ans. Les images révèlent ses cauchemars et ses angoisses. Fantômes et insectes peuplent ses images.
L’inspiration d’une des séries présentées est aussi venue du journal de bord du capitaine d’une expédition qui réunissait des scientifiques chargés d’explorer une île découverte par des baleiniers dans le grand sud, mais jamais explorée. Elle a reconstitué les images de cette expédition avec des amis qui posent pour elle…. en Ecosse!
La dernière série illustre le visage présumé des spameurs indélicats. Vous êtes- vous demandé qui pouvait vous envoyer ce courriel vous promettant 50 millions de dollars ? Cristina a imaginé le portait de ces personnes.
L’exposition ne cherche pas à reconstituer ces séries, mais à constituer des murs de photos. Les mêmes photos sont présentes plusieurs fois, dans plusieurs formats. Cristina dit: les photos sont comme les mots d’une phrase, elles prennent du sens en les juxtaposant.
Il reste aux visiteurs à les décrypter.

vernissage de l’exposition