« Si nous allons au théâtre, c’est parce que nous voulons être surpris, émerveillés. Mais cela ne peut se faire que si nous sentons que cela nous concerne : l’ordinaire et l’extraordinaire, ces deux éléments contraires doivent se rencontrer. »
Cette citation de Peter Brook extraite de la présentation de Zypher Z par le Munstrum résume bien ce spectacle.
Dans le Genèse, la Bible nous dit :« Tu enfanteras dans la douleur ». C’est aussi dans la douleur que Zypher donne naissance à son double. Il ne va pas naître de la côte de Zypher mais d’une simple excroissance qui apparaît à l’épaule, puis grossit pour devenir un être informe, avant de surgir dans son entière nudité comme le double de Zypher. Zypher accueille son double avec attendrissement, le berce, le cajole, et c’est au début une entente parfaite. Mais bientôt Z. (c’est ainsi que se nomme le double de Zypher) révèle un caractère bien différent. Et il faudra que Zypher retrouve son unicité, mais ce n’est pas chose facile…
Cette quête de l’identité se déroule dans un univers étrange, une société mixte d’humains et d’animaux, servis par des robots immortels. L’homme n’est plus le maître, les animaux dominent l’échelle sociale tandis que l’homme n’est qu’un subalterne.
Mais si tous ces personnages évoluent dans un univers qui paraît immatériel, on n’oublie pas que ces êtres vivants ne sont pas désincarnés, ils sont faits de chair et de sang. Le sang gicle parfois avec force. Les animaux rotent, pètent, pissent et défèquent pour signaler à tout moment leur présence organique. Alors que les robots qui les servent, immortels, rêvent d’être déboulonnés et de disparaître un jour, lassés de leur statut d’esclave. Ils vont se retrouver dans un souterrain obscur pour une parodie monstrueuse des humains, en attendant que Dieu leur accorde la fin qu’ils désirent.
Les masques sont rois, humains, animaux et robots nous apparaissent masqués. Louis Arene (le metteur en scène) et Lionnel Lingelser, fondateurs de la Compagnie Munstrum ont fait du masque la marque de leurs créations pour signifier la complexité des personnages. On a pu les voir dans les pièces précédentes qu’ils ont mises en scène : « Le chien la nuit et le couteau » et « 40° sous zéro ».


Zypher nous plonge dans ces mêmes univers glauques. On découvre de nombreuses références visuelles au cinéma fantastique, comme, entre autres, celui de Cronenberg ou Kubrick dans « 2001 l’odyssée de l’espace ».

On pourrait aussi ajouter de nombreuses analogies picturales, empruntées à l’exposition « Face à Arcimboldo » présentée au centre Pompidou à Metz :
un buste d’une femme à barbe présentée dans un globe Zypher derrière un écran
Les masques et le travail extraordinaire sur la lumière contribuent beaucoup à la fascination du spectateur, plongé dans cet univers étrange. C’est un spectacle visuel avec des images fortes qui restent gravées dans la mémoire.
Le Munstrum a souhaité apporter à cette dystopie des notes d’humour qui émaillent la pièce. Il voulait aussi en faire un spectacle total. Danse, chanson, acrobatie viennent s’intercaler pour apporter des moments de légèreté dans l’intensité dramatique.
Zypher laisse la porte ouverte à de nombreuses interprétations. Qu’est-ce que l’identité, l’immortalité, quelle est la place de l’homme dans l’univers ? Chacun pourra donner sa réponse.
Dans la Genèse, on retrouve encore ces lignes :
« C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, jusqu’à ce que tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. »
La poussière devient matière, et la matière envahit la scène, Zypher et ses doubles émergent, corps mêlés, enlacés sortis de la matière originelle. Un message d’espoir que nous suggère la scène finale. Quand la lumière s’éteint, la salle sort de son voyage dans cet univers inquiétant, mêlant l’ordinaire et l’extraordinaire, avec une acclamation unanime.