La photographie est-elle un art comme les autres?
Peut-on aborder la photographie sans références et sans connaissance des auteurs qui ont marqué l’histoire de la photographie?
Voici quelques questions auxquelles a tenté de répondre le photographe Jean-Christophe Béchet, invité par les Amis de La Filature. Il est intervenu pour présenter son livre « Influences » à la librairie 47 degrès Nord vendredi 3 mars et à La Filature pour un entretien autour de la place du photographe au 21ème siècle.
A aucun moment il n’a été question de diaphragme, vitesse d’obturation, profondeur de champ. Jean-Christophe Béchet a parlé de photographie comme on parlerait de peinture ou de musique, un discours ouvert à tous, photographes ou simple néophytes sans connaissances techniques. Jean-Christophe Béchet est en effet rompu à communiquer avec le public. Il a été pendant longtemps rédacteur en chef de la revue « Réponses photos » et il anime régulièrement des stages photographiques pour un public varié allant du débutant au professionnel.

Fréderic Versolato et Jean-Christophe Béchet à la librairie 47 degrés nord
Vendredi soir, lors de la présentation de son livre « Influences » à la librairie 47 degrès Nord (visible en intégralité sur cette vidéo), JC Béchet révèle que sa vocation de photographe est née de la rencontre avec Sebastiao Salgado, alors qu’il n’était pas du tout connu. Il abandonne alors ses études d’économie pour rentrer à l’école de photographie d’Arles, puis commence une carrière de photographe, initialement dans le photojournalisme qu’il délaisse rapidement quand il réalise que cela ne correspond pas à ses aspirations. Ses influences photographiques, il les puise dans la découverte de livres photos qu’il collectionne. Il en a environ 5000! Les maîtres de la photographie du 20éme siècle seront ses premières sources d’inspiration et d’influence. Le contact personnel avec d’autres photographes connus lui ouvrira d’autres voies à explorer. Il reconnaît que le territoire joue aussi un rôle très important. On ne photographie pas de la même façon en Finlande sous un ciel couvert et à Cuba avec des couleurs éclantantes, dit-il. Ainsi se dessinent des styles photographiques différents selon les régions. Dans ses livres portant sur l’Europe, il sera forcément plus influencé par des photographes français que quand il visite les USA. Ce sont les grands maîtres de la photo américaine qui seront alors en arrière plan. Car être influencé n’est pas copier, mais intégrer inconsciemment des thèmes ou des caractéristiques stylistiques que l’on découvre a posteriori. C’est ainsi qu’est né le livre « Influences ». JC Béchet a recherché dans ses propres photos ce qu’il avait intégré des auteurs qui l’avait précédé. Il a sélectionné 51 photos vues au travers du regard de 51 auteurs photographiques entre 1857 (Eugène Atget) jusqu’en 1957 ( Stephane Couturier) .
Avis aux amateurs: ce livre est en cours de traduction et sera bientôt disponible en Chinois!
Samedi matin, je retrouve JC Béchet au pied de son hôtel à Mulhouse. Un appareil entre les mains, il photographie la rue couverte de neige et plongée dans le brouillard. Je n’ai pas oublié ce qu’il a dit la veille au sujet de Lee Friedlander: J’ai toujours eu une fascination photographique pour les poteaux électriques et, contrairement à beaucoup, je m’attriste de leur disparition dans le paysage.
Les poteaux sont bien présents à Mulhouse et je peux alors le saisir en pleine action au milieu d’une forêt de poteaux!
Quelques pas plus loin, il s’arrête devant la tour de l’Europe dont le sommet est noyé dans le brouillard. Voilà une parfaite allégorie de notre Europe reconnait-il ! Il prend quelques photos qui paraîtront peut-être un jour dans un prochain livre sur la France.
Nous retrouvons Emmanuelle Walter à La Filature pour visiter l’exposition de Cristina de Middel qui offre une approche de la photo bien différente de celle de JC Béchet dans la reconstruction fantasmée d’histoires réelles.
Au cours de l’après-midi, devant un public composé des membres des Amis de La Filature et du Club Photo de Riedisheim, JC Béchet présente les diaporamas de deux de ses livres: Marseille ville natale et European puzzle. Il décrit sa démarche de photographie subjective, à la recherche de lieux, de visages ou de personnes qui témoignent d’un instant ou d’une époque. Le livre devient l’aboutissement final du travail photographique, inspiré par la littérature ou la musique. Marseille, ville natale représente un travail personnel mêlant images de ses parents, de ses ami(e)s et de lieux qui ont marqué sa jeunesse. C’est en lisant L’Homme foudroyé de Blaise Cendrar et en voyant les photos de la ferme du Garet de Raymond Depardon qu’est né le désir de réaliser ce livre sur Marseille.
European puzzle est le résultat de 17 ans de voyages en Europe , du Groënland au sud de l’Italie en passant par les pays de l’est et l’ex URSS. Ce livre commencé au moment du Brexit, illustre la déception d’une Europe désunie, s’abritant derrière ses nationalismes, après la grande bouffée d’espérance qui a marqué la chute du mur de Berlin et la création d’un espace commun ouvert à tous.
Vision pessimiste encore au sujet du futur de la photographie professionnelle. Alors que les images sont partout, le photographe professionnel n’a plus de place car l’édition du livre photo ne s’est jamais aussi mal portée. Les éditeurs sont réticents à publier des livres des auteurs contemporains qui ne se vendent qu’en quelques centaines d’exemplaires et encore… Le crowdfunding demeure le plus souvent la seule solution pour qu’un photographe indépendant puisse être publié. En outre, les agences de presse tendent à disparaître. Ce constat pessimiste donne lieu à un vif débat car il n’est pas partagé par tous!
JC Béchet reviendra bientôt en Alsace. Il sera à la galerie Stimultania à Strasbourg pour une exposition où il présentera les photos de European puzzle (du 27/04 au 26/08) et pour un stage.
La visite de cette exposition sera peut-être une autre occasion pour les Amis de La Filature de découvrir son travail!
Jean Steffan