Othello : Intro-minute

Intro-minute présentée par Dominique Réal  à La Filature le 29 novembre 2019

spectacle mis en scène par Aurore Fattier

La tragédie dans l’oeuvre de Shakespeare et dans l’histoire culturelle:

La pièce fut écrite en 1603, jouée en 1604 , devant le roi Jacques 1er Stuart, sous le titre Le Maure de Venise. Elle fut publiée à partir de 1622, après la mort de Shakespeare (1564-1616).

C’est une pièce de la maturité, classée dans le groupe des grandes tragédies: Hamlet, Le Roi Lear, Macbeth, à l’apogée du théâtre élisabéthain, âge d’or du théâtre anglais et peut-être mondial.

Source:

Un conte, extrait d’un recueil de Cinzio Giraldi, publié en Italie, au milieu du XVIème s. (1565-1567). Shakespeare en a conservé la trame, raccourci la narration, traînante et mélodramatique, intensifié les trois personnages principaux, évacuant la vraisemblance du fait-divers, au profit de la force tragique.

Cette pièce est singulière:

Isolée dans l’oeuvre, ne ressemblant à aucune autre, elle a connu un succès public continu depuis 1604, mais a suscité d’énormes empoignades de critiques, portant sur la nature de son tragique et sur ses rapports avec le reste de l’oeuvre.

Car, il y a un « mystère » Othello

…malgré une apparente clarté favorisée par une extrême économie de moyens:

L’unité d’action: c’est une tragédie domestique. Comment un si noble héros devient le meurtrier de sa femme. Tout se joue dans sa tête.

Le cadre limité est contemporain de l’écriture, à peu près dépourvu de contexte historique et les éléments surnaturels ou merveilleux, chers à l’auteur, en sont absents. On a donc pu parler du « réalisme » de la pièce.  La construction est très rigoureuse: c’est la plus courte liste de personnages de l’oeuvre; l’action la plus rapide, qui vise à ne laisser à Othello aucune occasion de réfléchir et d’échapper à la manipulation d’Iago; les péripéties extérieures sont limitées au strict minimum logique.

C’est donc une pièce très nette, qui ne repose que sur la beauté de la langue, la stature des personnages, l’intensité tragique.

Or, il y a, dans Othello, un double usage de la tromperie…

La tromperie est le thème de la pièce. Iago est un maître-fourbe qui infecte l’esprit d’Othello, pour le détruire.

La tromperie est aussi un procédé dramaturgie subtil : Shakespeare empêche le spectateur de se rendre compte à quel point il est absurde qu’Othello tombe dans le panneau d’Iago. Il utilise, à cet effet, un temps double, une double horloge. Le temps court, précipité, de ce qui se déroule sur scène ; Le temps long, mental, suggérant qu’un fait imaginaire, l’adultère, a réellement eu lieu.

Shakespeare nous berne, comme Iago berne Othello.

… et les trois personnages restent profondément énigmatiques :

Iago :

C’est le manipulateur, le spécialiste de l’emprise, qui insinue un « ver  rongeur » dans la tête d’Othello. Il met les plus grandes capacités (intelligence, ruse, dissimulation, audace, vitesse) au service d’un cynisme sans limite. Tout lui sert de carburant: la haine, l’envie, l’échec professionnel, la misogynie, la jalousie sexuelle, la crainte d’être cocu… Mais, quel est le ressort profond de sa méchanceté ? Coleridge parle de « la chasse aux mobiles d’une méchanceté sans mobile ». D’où des interprétations très divergentes. On en a fait une allégorie du Malin, un personnage machiavélien (Le Prince a paru en 1516), un personnage sabine qui atteint la perfection dans la cruauté et dans sa jouissance, le plus fascinant de la collection de « villains » du théâtre élisabéthain. Et un régal pour les psychanalystes et les psychiatres.

Cependant Iago n’est que l’agent de la tragédie, pas le centre. Car, son personnage n’évolue pas, il est donné tout entier dans la première scène.

Othello :

C’est à l’intérieur de son âme que se déroule toute l’action tragique. Othello, c’est un renversé. Au début, il a tout pour lui: beauté, prestige, autorité, maîtrise de lui-même, noblesse, amour. C’est un héros plus que parfait. A la fin, c’est le sauvage assassin de sa femme, aveuglé de haine, une cervelle fendue entre l’abjection, le dégout de soi et l’indulgence vis-à-vis de lui- même. Entre les deux, il subit un retournement instantané: Iago l’a attaqué au défaut de sa cuirasse. D’un seul coup, il a désintégré l’ idéalisation héroïque d’Othello, par cette insinuation: « Je n’aime pas cela…». En effet, Othello est une tragédie de la méconnaissance de soi, de l’illusion sur soi.

Othello est un être sûr de lui, absolument dépourvu de doute, de conscience critique. Il s’est pris d’une passion complaisante pour sa propre  construction, sa réussite professionnelle, sociale, amoureuse, apparemment idéale. Il suffit à Iago d’insinuer dans son esprit une représentation avilie de lui-même (sa femme le tromperait) pour que tout l’édifice s’écroule. Incapable de s’adapter, de résister, il devient instantanément le négatif de ce qu’il croyait être. La jalousie est entrée en lui d’un coup et a tout fait  exploser. Mais, Shakespeare ne s’intéresse pas à son étude, à la différence de Proust. Il aurait aussi bien pu anéantir Othello par un doute sur sa légitimité professionnelle ou sociale.

Desdémona :

Pour nous, c’est la plus mystérieuse. Héroïne parée de toutes les vertus, énergique, déterminée, elle rompt avec sa famille, par amour absolu. Séduite par le récits des hauts faits d’Othello, elle le suit, au mépris des conventions de sa classe. Elle accepte sa cruauté, se soumet à sa violence, se débat peu, meurt presque passivement. Sans haine. Elle ment pour le disculper.

Shakespeare nous donne les moyens d’appréhender ses personnages, mais pas de les comprendre. Enigmatiques, ils sont donc disponibles pour toutes les lectures. Aucune, portant, n’épuise le malaise du spectateur ou du lecteur.

 

Aurore Fattier fait une lecture personnelle audacieuse

Elle introduit bien des différences par rapport à ce qui précède :

Ses partis-pris sont affirmés :

Elle veut nettoyer la tragédie des clichés séculaires qui l’accompagnent, en particulier, depuis le XIXème s., les clichés racistes du noir sauvage, dominé par ses pulsions sexuelles, tueur de femme blanche. Elle y a cependant recours, par contraste. Elle tente d’ « habiter Othello du dedans »: un étranger, parti de rien, fou d’amour, se croyant complètement intégré dans la Cité ( une espèce de général Bonaparte de la République de Venise ), quoiqu’il y soit seul de sa sorte: il est Noir. Iago lui retourne la cervelle, de sorte qu’Othello s’exclut lui-même du monde dans lequel il croyait avoir un si haut destin, jusqu’à tuer et se tuer.

Le travail est solide: une bonne traduction, une adaptation avec ajouts, une réflexion approfondie sur les échos contemporains.

Les anachronismes sont délibérés. Aurore Fattier dit qu’elle a voulu en faire « un thriller chic, dans une esthétique de film noir, un esprit free-jazz ».

 

Le spectacle est pluridisciplinaire

Il dure plus de trois heures, pour une pièce qui n’est pas très longue.

Il mêle théâtre, la tragédie de Shakespeare, deux fragments d’une nouvelle d’André Pieyre de Mandiargues, tirée du Musée noir, réécriture d’Othello dans le sud des Etats-unis au début du XXème s., des vidéos, enregistrées ou filmées en direct, des éléments sonores divers, musicaux  (free-jazz, chant lyrique, chansons sentimentales ) ou non.

La scénographie, économe et souple est efficace.

Le style est résolument baroque

Ça foisonne: multiplication des espaces scéniques, des époques, profusion des pistes suggérées, tricotage de plusieurs types de textes, techniques cinématographiques ( hors-champ, changements d’échelle, bande-son ), masques…

C’est intelligent: de nombreuses scènes, filmées en gros-plan, sur scène et dans une loge Algéco, confinée, impliquent le spectateur, le rendent complice des manipulations.

C’est modernisé, pour faciliter l’accès à une pièce de 400 ans. Mais, c’est risqué :

La perte de beauté, de préciosité, de puissance poétique de la langue, plutôt qu’à la reproduction est due à une très mauvaise sonorisation, à la diction,  et, plus ennuyeux, au choix des comédiens.

L’étirement du spectacle ne fait-il pas perdre la tension tragique précipitée du texte d’origine?

C’est paradoxal Aurore Fattier a voulu faire de la tragédie la plus dépouillée Shakespeare un spectacle aussi foisonnant, éclaté, complexe que les autres grandes tragédies, Hamlet, Le Roi Lear, Macbeth.

Comment et pourquoi?

Une place royale : le théâtre du peuple à Bussang

Les Amis de La Filature se sont retrouvés au Théâtre du Peuple à Bussang pour une représentation de « La place Royale » de Corneille le 11 octobre.

Une occasion exceptionnelle, puisque cela a permis d’assister à la pièce, de participer à la rencontre avec le metteur en scène Claudia Stavisky (devrais-je écrire la metteuse en scène?) et les comédiens, et enfin de profiter de la visite guidée présentée par  Héloïse Erhard que certains ont connue comme chargée des relations publiques à La Filature avant qu’elle ne rejoigne le théâtre du Peuple.

La Place Royale, comédie en 5 actes écrite en 1634,  traite des amours complexes et ambivalentes qui amènent un jeune homme à mentir à celle qu’il aime (et de laquelle il est aimé) pour l’abandonner à l’un de ses amis.  Mais l’histoire ne s’arrête pas là, car survient un chassé-croisé pervers et cruel entre les personnages. La comédie devient  tragique, puisque ces amours passionnées et déchirées aboutissent à l’engagement dans les ordres de l’héroïne, Angélique, déçue par les tourments infligés et des revirements sentimentaux de son amoureux, tandis que  le héros Alidor renonce à tout amour. On assiste aux « bouillonnements désorientés d’une jeunesse qui n’arrive pas à aimer ».

La Place Royale de Corneille, mis en scène par Claudia Stavisky - Critique sortie Théâtre Lyon Célestins – Théâtre de Lyon

La Place Royale  était le nom donné à l’actuelle Place des Vosges à Paris et c’est là que se retrouvaient les jeunes femmes à qui la permission venait d’être donnée, à l’époque de Corneille, de sortir sans être accompagnées. Je souhaitais montrer l’aspect contemporain des troubles des premiers amours, nous dit Claudia Stavisky à la fin du spectacle. Le décor de la pièce ne devait pas refléter une époque, mais souligner le côté intemporel de cette comédie.  Une grand escalier monte dans une spirale harmonieuse vers un sommet inatteignable, et le sol est jonché d’objets hétéroclites. Seul mobilier, un divan bleu nuit et un fauteuil d’époque.   Les costumes évoluent aussi au cours de la pièce  souligne Claudia Stavisky. Ils rappellent le XVII ème au début de la pièce, pour devenir plus modernes à la fin. Au dernier acte, une toile immense couvrant tout le fond de la scène représente une forêt tropicale, sombre et lumineuse à la fois, un enchevêtrement d’arbres couverts de mousse, une représentation de la confusion des sentiments. Cette toile cachant le fond de scène devait bien sûr s’ouvrir à la fin du spectacle, comme il est coutume à Bussang, sur la vraie forêt des Vosges, à l’arrière de la salle. Elle apparaît comme un tableau merveilleux, baignée par la douce lumière d’un beau soir d’automne.

 

Corneille avait 29 ans quand il a écrit  cette pièce, ajoute-elle. Aussi, j’ai choisi de jeunes comédiens.  Leur fraîcheur, leur vitalité  sur le plateau nous a éblouis. Certes nous entendions des alexandrins du XVII ème siècle écrits dans une langue  qui nous paraît aujourd’hui presque une langue étrangère, mais on pouvait presque l’oublier  tant ils étaient dits avec naturel et  spontanéité. La fougue, l’impatience, les tourments des interprètes se traduisaient par un ballet permanent qui unissait ou défaisait leurs corps. J’ai choisi dès le départ d’associer une chorégraphe, Joëlle Bouvier, à la mise en scène, précise Claudia Stavisky. Et le fait est que c’est un véritable ballet auquel on assiste sur la scène. Il fallait du talent aux acteurs pour ne pas s’effondrer, car, nous disent-ils, ils n’étaient pas habitués à la pente de 7% du plateau de cette salle, et il leur a semblé qu’ils jouaient en équilibre sur un fil tendu !

La visite guidée a permis de découvrir tous les coins et recoins ce théâtre bien particulier grâce à Héloïse Erhard qui nous a rappelé de façon très vivante la genèse de ce lieu. Il fut fondé en 1895 par Maurice Pottecher, natif des lieux et issu d’une riche famille d’industriels qui détenaient des usines à Bussang. En créant le théâtre du peuple, dont la devise est « Par l’art pour l’humanité », il souhaitait offrir des spectacles pour un public diversifié, tout en respectant une grande qualité artistique, et permettre la rencontre de professionnels et d’amateurs. Aujourd’hui encore, tous les spectacles estivaux sont donnés par des troupes comportant 2/3 d’amateurs.

Last but not least diraient nos amis britanniques, le théâtre est entièrement construit en bois, et n’a jamais été détruit ou brûlé. Des aménagements ont été construits pour agrandir l’espace, mais la structure originelle est toujours présente. Il est classé monument historique depuis 1976, ce qui interdit toute modification sans l’accord des Bâtiments de France.

 

liens:

Le théâtre du peuple

La place royale au théâtre des Célestins 

 

 

Introduction minute à SAÏGON

Peu de spectateurs de Saïgon, présenté récemment à La Filature, ont eu la chance d’assister à l‘introduction minute de Dominique Réal.

Il n’est pas trop tard pour se plonger dans l’histoire troublée de l’Indochine et du Viet Nam et pour découvrir  les propos de Caroline Guiela Nguyen sur le spectacle qu’elle a crée :  Saïgon

L’Indochine, un trou dans la mémoire française 

Je savais depuis peu que j’aurais à présenter ce spectacle, lorsque j’entendis Caroline Guiela-Nguyen dire que Saïgon était un spectacle « documenté », pas un documentaire. Son expression m’a intriguée et orientée vers la piste d’une mémoire vivante, communicative, qui fermentait encore.

Peu après, je suis allée à Strasbourg, successivement dans deux excellentes librairies. Je n’y ai trouvé qu’un seul ouvrage sur l’histoire contemporaine du Vietnam. Solide d’ailleurs : Viêt-Nam, fractures d’une nation,  une histoire contemporaine de 1858 à nos jours ; édition La Découverte.Si l’Asie du sud-est avait été, cette année, au programme du Capes ou de l’agrégation d’histoire, ma perception aurait été biaisée. Là, pas de doute : l’Indochine, le Viêt-Nam, même, sont tombés dans un  trou de silence, n’intéressent ni les auteurs, ni les lecteurs, sauf aux rayons tourisme et cuisine.

Du coup, j’ai convoqué ma propre mémoire de l’Indochine : maigre butin.

Un service à café en porcelaine « de Chine », très mince, à dragons bleus sur fond blanc. Quelques bijoux, dont un bracelet de jade et d’or, trop fragile pour être porté. Le tout offert à ma grand-mère par sa sœur, épouse d’un officier qui fit sa carrière aux colonies, dont plusieurs années en Indochine.

Le même bracelet exactement, au poignet d’une vieille dame de mon village du Gers, dans les années 60.

Le même grand-oncle officier, à la tête d’un groupe de soldats ou de coolies, travaillant des rizières en Camargue, pendant la deuxième guerre mondiale.

Le mot « eurasien /eurasienne » qu’on entendait dans les années 50.

Un oncle de mon mari, réputé « tête brûlée », engagé volontaire en Indochine. Non sans séquelles. Mort jeune.

Une conversation où j’entendis pour la seule fois, à 60 ans, le mot « gna kwé ». L’équivalent de plouc, de bouseux, de melon…

Des fragments de mémoire culturelle : Le Barrage contre le Pacifique, de Marguerite Duras, Le Crabe-tambour et La 317ème Section de Pierre Schoendorffer.

C’est peu. Bien sûr, j’ai éliminé toute connaissance ultérieure d’ordre professionnel.

Si j’avais interrogé chaque personne présente, le trou aurait-il été moins grand ?

 

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L’Indochine coloniale, 1858-1954

Les facteurs de la conquête 

  • L’effacement de la Chine, puissance régionale, déchirée par les guerres civiles, au 19ème s., incapable de protéger son vassal du sud, l’Empire du Viêt-Nam. Fondé en 1802, il réunissait pour la première fois tous les Vietnamiens, du nord au sud, dans un Etat centralisé et moderniste, semblable au Japon de l’ère Meiji, en moins efficace.
  • Une vigoureuse offensive missionnaire catholique, en Asie du sud-est, qui suscita de violentes persécutions antichrétiennes, de la part de l’Empire du Viêt-Nam.
  • La pression des milieux d’affaires et des militaires français (la marine), dans un contexte de vive concurrence avec les Anglais, pour accaparer le marché chinois, à partir du delta du Mékong (région de Saïgon), que l’on croyait être la voie la plus rapide.

Conquête militaire brutale 

1858-1887

Alternance de coups de force et de négociations diplomatiques, elle fut plutôt subie que voulue par les gouvernements français : ils se laissèrent faire, quand les amiraux-gouverneurs de la péninsule leur apportèrent de nouveaux territoires conquis.

La conquête, très violente par nature, se fit du sud au nord. (Lire Pierre Loti, Trois journées de guerre en Annam).

Elle fut suivie d’une longue phase de « pacification », de 1887 à 1905, qui n’écrasa jamais complètement la résistance à la colonisation.

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La colonisation

Ce fut une humiliation. Moins d’un siècle après l’unification des Vietnamiens en un seul Etat, la France le disloqua en trois morceaux : la Cochinchine, au sud, avec le statut de colonie ; l’Annam et le Tonkin, au centre et au nord, deux protectorats, fédérés avec le Laos et le Cambodge, dans l’Union Indochinoise, créée en 1887. Il s’agissait d’affaiblir le sentiment national vietnamien. Ce fut l’inverse qui se produisit.

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Elle provoqua une acculturation complète : toutes les structures sociales, administratives, économiques, anthropologiques furent bouleversées. Or, elles étaient remarquablement stables et plutôt équilibrées.

Elles furent remplacées par une économie de prédation, caractérisée par la lourdeur des impôts en argent et en travail, par l’appauvrissement des agriculteurs vivriers et des artisans (90% de la population), par l’exportation de produits agricoles, forestiers, miniers, par la structuration des infrastructures urbaines et de transport uniquement en fonction des exportations.

Il est à noter que l’Indochine fut la seule zone rentable de l’empire colonial français.

La colonisation suscita une collaboration : En 1945, on comptait environ 28 millions de Vietnamiens et 35000 Européens. Pour administrer directement , la collaboration d’une fraction de la population était indispensable. Elle se fit par intérêt ou par espoir d’une reconnaissance par la métropole de l’émancipation et de l’égalité des droits. Elle fut surtout le fait d’anciens lettrés de la caste mandarinale et de fonctionnaires francophones, issus des 10% d’enfants vietnamiens scolarisés.

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D’autres choisirent la rébellion. Jamais éteinte, elle prit toutes les formes : jacqueries, guérilla, mutineries, terrorisme. En général d’un très haut niveau intellectuel, les acteurs de la rébellion  venaient de milieux politiquement  extrêmement variée : lettrés maquisards, sectes religieuses violentes, partis nationalistes réformistes et révolutionnaires, précocement marxistes, soutenus par le Guomintang chinois, l’envahisseur japonais, le parti communiste chinois, selon les cas.

Ceci servit à justifier une féroce répression : bombardements, fusillades, exécutions sans jugement, arrestations, déportations dans des bagnes, dont le sinistre îlot de Poulo. La répression nourrit la radicalisation du sentiment national, surtout à partir des années 1920.

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La guerre d’Indochine

Indochine et Algérie furent les deux seuls et les deux premiers cas de décolonisation par la guerre de la part de la France. Deux défaites.

Le Japon joua un grand rôle : la défaite française de juin 1940, face à l’Allemagne, permit au Japon, dictature militaire raciste, d’occuper l’Indochine. Un régime administratif mixte, franco-japonais (1941-1945) aggrava l’exploitation coloniale (par exemple, il y eut 2 millions de morts de faim en 1944-45. En sous-main, les Japonais entretinrent le racisme anti-blanc, en soutenant les courants nationalistes vietnamiens, sauf les communistes. Parallèlement, le Guomintang chinois soutint , contre les Japonais, un front révolutionnaire indépendantiste vietnamien, très hétéroclite, le Vietminh (créé en 1941), dirigé par les cadres du Parti Communiste indochinois clandestin : Hô Chi Minh, Giap, Pham Van Dong. Le Vietminh organisa des maquis et commença à noyauter les campagnes.

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C’est le vietminh qui remporta la course à l’indépendance : le 9 mars 1945, les Japonais désarmèrent le militaires français et favorisèrent « l’indépendance » proclamée par l’empereur Bao Dai , et un gouvernement projaponais.

Le Vietminh saisit alors l’opportunité, se présentant aux Alliés, USA, URSS, GB, comme anti-japonais, non inféodé à la Chine et surtout capable de déclencher le soulèvement général du Vietnam, grâce à l’ALN, l’armée de libération nationale vietminh. Ce qu’il fie, en Août. Bao Dai abdiqua. Le 02/ 09/1945, à Hanoï, Hô Chi Minh proclama la République démocratique du Vietnam.

Dès lors, les ultra, Vietnamiens et français, poussent à la guerre, ruinant toute tentative de compromis négocié.

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Ce fut une guerre coloniale, née de la volonté, déjà périmée en 1943, de de Gaulle, de restaurer la grandeur de la France , en reconquérant l’Indochine. Cependant, pragmatique, il laissa latitude au général Leclerc, chef du Corps Expéditionnaire Français d’Extrême-Orient, de négocier avec le Vietminh qui semblait incontournable. Mais, cette position fut durcie, après le retrait de de Gaulle (1946) par les va-t-en guerre du MRP au début 4ème république, sous la pression du lobby colonial et de l’armée. Issue des Forces Françaises Libres, elle voulait effacer l’humiliante défaite de 1940 face aux Allemands.

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Mais ce fut, d’abord, une guerre civile : 600 000 Vietnamiens se combattirent ; 90 % des victimes furent vietnamiennes. L’objectif du Vietminh était double : chasser les français et unifier tout le Vietnam du nord au sud, sous sa domination. Or, dès septembre 45, dans le sud, des nationalistes vietnamiens anticommunistes firent alliance avec les français, contre le Vietminh.

En réalité, de 1945 à 1976,, pro et anti-vietminh guerroyèrent pour imposer chacun sa légitimité.

Ce fut, aussi, à partir de 1949, un « front chaud de la guerre froide », contemporain de la guerre de Corée. Le Vietminh reçut massivement aide financière, logistique, militaire, stratégique, de la Chine, communiste depuis octobre 1949, et de l’URSS. La France et le Vietnam sudiste anticommuniste reçurent argent et armement des USA.

Pourtant, la France s’enlisa :

D’un côté:

  • Le CEFEO : 200 000 hommes, 1/4 d’Européens, surtout officiers et sous-officiers, 3/4 de troupes coloniales  d’Afrique du nord et d’Afrique. l’armée nationale sudiste : 200 000 hommes.

Sans appui de la population, surtout à la campagne, armés de façon hétéroclite, souffrant du climat, mal commandés : la tactique était mal adaptée à la guérilla des adversaires, dont on avait sous-estimé le nationalisme ; fautes stratégiques lourdes ; manque de crédits. En gros, les français tiennent  le jour les routes reliant des fortins isolés. La nuit est au Vietminh.

de l’autre :

  • Le Vietminh, 125 000 soldats réguliers, 75 000 miliciens, 300 000 « forces populaires » civiles, garçons et filles très jeunes ; dénuement militaire, mais patriotisme en acier, réservoir inépuisable d’hommes déterminés à mourir ; stratégie intelligente d’évitement et de harcèlement de l’ennemi, selon le modèle de la guérilla maoïste. Progressivement le Vietminh prend le dessus. Le 7 mai 1954, le camp retranché de Dien Bien Phu capitule, entraînant la chute du gouvernement.

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Pierre Mendès-France, investi président du Conseil, liquide la guerre et la colonisation, en signant les accords de Genève, en juillet 1954. Ils prévoient le partage provisoire du Vietnam en deux, sur le 17ème parallèle, des élections générales avant 2 ans, le départ des Français.

Il n’y eut jamais d’élections, les USA prirent le relais de la France, dans la « guerre du Vietnam ». La guerre civile des vietnamiens dura encore 22 ans. Le Vietminh l’emporta et imposa sa dictature et la réunification, en 1976.

Dans cette histoire chaotique et impitoyable, une infinité de groupes ont, tour à tour, été victimes. Leurs douleurs ont été tues, de gré ou de force. Le passé n’a jamais été purgé. Tous ces groupes sont les fragments hétérogènes d’un pays de fantômes.

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Saïgon, une oeuvre polyphonique consacrée à ces porteurs de mémoires éclatées

C’est un tressage de langues, d’accents, que nous aurons parfois du mal à comprendre, mais qui font entendre la diversité des origines, des idiomes, des générations.

C’est le résultat de deux ans de travail collectif : un long processus d’enquête, de rencontres, d’immersion, à Hô Chi Minh Ville (ex-Saïgon), dans le 13ème arrondissement de Paris, suivi de l’écriture au plateau, par des comédiens, professionnels et amateurs, Français et Vietnamiens, Nationaux et en exil. Porteurs d’expériences différentes, ils ont élaboré un récit ensemble, rapproché des mondes séparés par l’Histoire.

Le lieu glisse : un restaurant vietnamien, cuisine à gauche, karaoké à droite. A Paris ? A Saïgon ? Les deux.

L’époque balance : de 1956, 2 ans après la défaite française. Le Vietnam victorieux, indépendant, provisoirement coupé en deux, rêve encore d’unification. Pourtant, la guerre civile couve. Les Français partent, civils et militaires, et, avec eux, les Vietnamiens les plus menacés ou les plus compromis. On les appelle les Viet Kieu, les Vietnamiens de l’exil.

…à 1996 : après l’effondrement soviétique, une loi du régime communiste vietnamien autorise le retour des Viet Kieu.

Qu’ont encore en commun ceux qui sont restés et ceux qui sont  partis ?

Le couple mémoire/Histoire

Le restaurant, Saïgon, la ville, ne concernent pas seulement les Vietnamiens, les Français installés en Indochine, ceux qui s’y sont battus, leurs descendants. C’est un lieu « où notre mémoire travaille », « un lieu qu’une communauté réinvestit de son affect et de ses émotions », selon Pierre Nora, historien , concepteur de la notion de lieu de mémoire.

Caroline Guiela-Nguyen écrit : «  Je ne veux pas de discours sur les gens, je veux les gens eux-mêmes. La colonisation est dans le coeur même de ces êtres humains. » Son propos est l’Histoire sous sa forme intime ; comment elle a traversé tant de vies, s’est divisée en histoires particulières, comme un fleuve se divise en bras.

« La France doit se raconter au-delà de ses frontières. Nous sommes faits d’autres histoires que la nôtre, nous sommes faits d’autres blessures que les nôtres. »

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Retrouver le trajet des larmes

Caroline Guiela-Nguyen réveille des êtres manquants, des voix éteintes.

« Hô-Chi-minh-ville est une ville blessée qui a son propre fantôme, Saïgon. Saïgon est une ville morte, gonflée d’histoires et de mythes » ; elle est « chargée d’histoires de départ, d’exil, elle est peuplée d’êtres qui manquent dans les familles et c’est cette absence qui engendre la fiction. Paradoxalement, plus la mémoire que l’on a de l’autre est en péril, plus nous avons besoin de nous souvenir. C’est comme cela que nous créons du mensonge, du mythe. Il y a toujours quelqu’un à pleurer et tout l’enjeu de notre spectacle est de retrouver le trajet des larmes. »

Le mélodrame est omniprésent dans la vie quotidienne des Vietnamiens : karaoké, chansons populaires qui disent l’amour, l’exil, la mort, les fleurs. C’est la permanence pudique de la nostalgie, de la douleur, la douleur de l’impossible retour.

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La photographie au Cambodge avec Christian Caujolle

Venu pour accrocher à la galerie de La Filature, l’exposition « 40 ans après, la photographie au Cambodge aujourd’hui », Christian Caujolle  a offert aux Amis de La Filature le privilège d’un entretien sur sa carrière et  la présentation de l’exposition. Les Amis de La Filature ne pouvaient laisser passer cette occasion de rencontrer un   » formidable passeur et découvreur, auteur, critique et commissaire , un personnage mythique de la photographie qui a joué un rôle capital pour lui donner toute sa place dans le monde de l’art et de la presse  » pour reprendre les termes consacrés de ses biographies.

Curiosité et refus des conventions

Christian Caujolle n’était pas prédestiné à faire de la photographie sa carrière. Sorti de l’école normale supérieure de Saint Cloud, il est hispanique de formation. Il s’oriente  vers la sociologie et commencera une thèse, qu’il ne terminera pas,  sur les albums de famille .  Il est alors proche de Roland Barthes et Michel Foucault.

A la question : Roland Barthes et Michel Foucault ont-ils influencé son regard  photographique ?   Christian Caujolle répond après quelque secondes de réflexion : ils m’ont donné le sens de la curiosité et le refus des conventions. Il nous révèle la naissance de « La chambre claire » de Roland Barthes. Barthes n’avait pas l’intention d’écrire un livre sur la photo mais sur le cinéma. Il rédigeait beaucoup de fiches sur des sujets ponctuels. Après le décès de sa mère, il a écrit une fiche sur le portrait de sa mère,  qui a été le point de départ de « La chambre claire« . Barthes n’était pas un amateur de photographies, mais il se passionnait pour les photos de Paris-Match et du Nouvel Observateur Photo. Barthes jonglait avec les concepts et n’avait pas besoin de connaissances sur la photo. Ce qui l’intéressait, c’était de savoir comment l’image lui parvenait, ce qu’elle produisait et dans quel contexte elle avait été obtenue. La question du sens était essentielle. A ce titre, Christian Caujolle apparaît bien comme disciple de Barthes. Quant à Foucault, dont il était moins proche, il dit : il était un grand amateur de peinture surréaliste. Il  a évoqué la photo dans le livre Des Mots et des Choses. Il a montré l’importance  des photos dans l’écriture de l’histoire, mais il a aussi souligné qu’il fallait les mettre en doute comme on met en doute les documents écrits. Un sujet encore bien d’actualité !

La découverte de la photographie, c’est en fait, dans ses jeunes années, à la galerie du Château d’eau à Toulouse, puis à Paris à la galerie Agathe Gaillard à  qu’il l’ a faite. Ces  lieux exposaient tous les photographes alors inconnus comme Brassaï ou Doisneau, mais qui devaient marquer plus tard  la photographie du 20ème siècle. Il rencontre tous les grands noms de la photo, (sauf Walker Evans nous dit-il, avec regret) et leur contact aiguise son regard. N’étant pas lui même photographe, il peut s’ouvrir au regard des autres sans contrainte. Mon mode d’expression est l’écriture nous dit-il. Ce désir d’écrire sur la photo et les photographes, il le réalise en participant à la création de la collection  Photopoche avec  Robert Delpire. C’était la première collection de livres consacrés à la photo en petit format qui a connu, après un début hasardeux  (personne ne voulait financer ou éditer ce type d’ouvrage) un succès considérable. Cette collection est maintenant éditée dans plusieurs pays, à laquelle il a collaboré en écrivant l’introduction de 6 des volumes.

En rejoignant le journal Libération, il peut alors pleinement exercer ses talents : parler des photos et des photographes, découvrir des talents, transmettre (Je suis un passeur dit-il) et innover. Avec Libération, il rénove le format du journalisme et l’utilisation de la photographie. Il crée le « feuilleton photographique » en invitant un photographe à envoyer une photo et un texte par jour pendant 28 jours. Le premier sera Raymond Depardon alors en voyage à New York. Puis Sophie Calle qui enquêtera sur  les personnes dont le nom a été trouvé dans un agenda oublié (?) par un inconnu. Une  expérience qui amènera quelques difficultés avec le détenteur de l’agenda !

Puis, Christian Caujolle crée l’agence VU, qu’il qualifie d’ agence de photographes. En effet, traditionnellement, les agences photographiques indexaient les photographies par thème et non par auteur. Ainsi on pouvait retrouver, par exemple, des photos de Cartier Bresson dans la catégorie « Monuments ». L’agence Vu indexe les photos par auteur. En parallèle, la galerie VU est créée, elle sera une source de revenus non négligeable grâce à la vente des photographies exposées. La galerie Vu déménage avec le changement de propriétaire, et Christian Caujolle quitte alors l’agence, comme beaucoup des  photographes qui y contribuaient.

Démultiplier le possible

Que penser de la photographie aujourd’hui avec l’arrivée du numérique? Le numérique a démultiplié le nombre de producteurs d’images et modifié le mode de circulation, nous dit-il. Le 20ème siècle a été le siècle de la photo, le 21ème siècle est le siècle de l’image, la photo ne représente qu’une petite partie des images produites. Et nous sommes dans la même situation que l’était la photographie peu après sa création. La photographie avait initialement comme référence la peinture, elle a dû inventer un nouveau mode d’expression qui lui était propre.  Aujourd’hui , la photo numérique a pour référence la photo argentique. La révolution numérique n’est pas terminée. le numérique offre de nouvelles possibilités, il reste à créer une nouvelle esthétique propre au numérique. Tout reste à inventer!

Cambodge: identité et mémoire

La curiosité de Christian Caujolle l’a amené à explorer les talents photographiques dans le monde entier. On se souvient de l’exposition de Cristina de Midel , une artiste espagnole qu’il a révélée et à laquelle il avait apporté son concours pour l’accrochage des ses photos à La Filature.

Aujourd’hui c’est vers le Cambodge qu’il se tourne, 40 ans après le massacre commis par les Khmers rouges.

Quatre générations d’artistes sont présentés.

Les plus âgés, ceux qui  ont survécu au massacre et portent encore les stigmates des années terribles qu’ont imposés des Khmers rouges. Les générations suivantes, qui n’ont pas vécu le massacre, mais ont connu le traumatisme qui l’a suivi. Les plus jeunes générations, qui tiennent à conserver l’identité de leur culture nationale et la mémoire de leur pays, face à l’invasion des Chinois qui s’implantent au Cambodge économiquement et par une immigration massive. Quant aux plus jeunes, ils représentent bien  la génération internet, ils participent activement aux réseaux sociaux.

Remissa Mak  qui à 5 ans a vécu l’évacuation de Phnom Penh par les Khmer rouges en 1975, nous livre sa vision de cet événement à l’aide des personnages en papier découpé perdus dans l’univers brumeux et opaque de ses souvenirs d’enfant. Philong Sovan révèle la vie nocturne de Phnom Penh en éclairant les rues obscures de la lumière des phares de sa moto dans une atmosphère intimiste  aux couleurs subtiles. Sophal Neak illustre les métiers  dans des portraits aux visages cachés par les les objets qui caractérisent la fonction des travailleurs. On retrouve aussi la jeune génération avec Ti Tit, avec des  photographies amusantes ou provocatrices bien ancrées dans son époque.

 

 

 

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Humanisme et Art Contemporain

Le 24 novembre 2018, les Amis de la Filature ont découvert à Sélestat, la nouvelle Bibliothèque Humaniste et une exposition du Fonds Régional d’Art Contemporain

Aperçu historique : l’Humanisme à Sélestat 

La chute de Constantinople (1453) a été le point de départ du mouvement humaniste en Europe ; en effet, face à l’invasion ottomane qui menaçait le patrimoine hérité de l’Antiquité, les lettrés de l’Empire Romain d’Orient ont fait rapatrier en Italie les écrits et oeuvres d’art des Latins et des Grecs anciens. Avec l’apparition de l’imprimerie, ces oeuvres ont été révélées puis étudiées partout en Europe, dans les nouvelles universités qui voyaient le jour dans une effusion intellectuelle sans précédent. Entre l’Italie et Mayence, le long du Rhin, la ville de Bâle a abrité l’une de ces universités, de même que la ville de Freibourg en Brisgau.

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Pour former les futurs étudiants, la ville de Sélestat a créé une « école latine », dont l’enseignement reposait sur une pédagogie nouvelle : fini l’apprentissage par coeur de textes latins destinés à être restitués in extenso ; les garçons scolarisés ici apprenaient la grammaire latine ainsi que la traduction, dans ses nuances et sa polysémie.

Nous avons une idée très précise du contenu des cours dispensés entre 1440 et 1526, grâce aux cahiers de deux écoliers, incroyablement préservés depuis plus de cinq siècles ! L’un de ces élèves est Beat Bild, fils d’un boucher charcutier de Sélestat. Comme cette famille venait de Rhinau, le jeune homme a très vite été qualifié de « Rhinauer » ; il gardera ce nom, qu’il va latiniser en Beatus Rhenanus, lorsque sa réputation le conduira dans les hauts lieux de l’esprit .

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Remarquable connaisseur des textes anciens, mais aussi des nouvelles techniques d’imprimerie, Beatus Rhenanus est en effet appelé auprès des éditeurs qui sollicitent ses conseils et son expertise. En bibliophile accompli, il se constitue au fil de ses travaux une collection de livres, incunables et manuscrits. À la fin de sa vie, celle-ci est constituée de 423 volumes reliés contenant 1287 oeuvres, et compte 71 manuscrits. Beatus Rhenanus a également conservé toute sa correspondance, soit 255 lettres, qui témoignent de ses relations prestigieuses dont la plus importante est une amitié avec Erasme.

 

Incroyablement conservée à Sélestat depuis 1547, cette collection a été distinguée en 2011 par l’UNESCO qui l’a inscrite au Registre « Mémoire du monde ».

 

Une halle aux blés devenue musée

Au fil du temps, cette collection s’est enrichie d’autres legs de bibliophiles sélestadiens, si bien qu’en 1889, les autorités germaniques de la Ville choisissent de les présenter au public en transformant la halle aux blés en musée-bibliothèque.

001910279_620x393_cAprès plus d’un siècle de fonctionnement mixte (bibliothèque de lecture et musée), la Ville opère une profonde restructuration du lieu et confie à l’architecte Rudy Ricciotti la transformation du bâtiment. C’est donc ce nouvel écrin que les Amis de la Filature ont eu le plaisir de visiter le 10 novembre dernier, soit 4 mois après sa transformation, qui fait suite à 4 ans de travaux et près de 15 millions d’investissement.

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Après la Renaissance, l’art contemporain.

La journée à Sélestat s’est poursuivie par une visite de l’exposition temporaire du Fonds Régional d’Art Contemporain : House for a painting, première exposition conjointe de l’architecte belge Inessa Hansch et de la peintre allemande Suzanne Kühn.

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Le FRAC installé à Sélestat en 1982 se distingue par son architecture signée François Kieffer/Pierre Kimmenauer/Ante Josip Von Kostelac. Ce bâtiment construit en 1995 est particulièrement adapté à son emplacement sur les rives de l’Ill. Son immense façade de verre offre une intéressante confrontation visuelle avec l’autre rive médiévale qui s’y reflète. Depuis 2015, la façade est prolongée par un portique de céramique, oeuvre du sculpteur autrichien, Elmar Trenkwalder.

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Notre groupe a été accueilli par Kilian Flatt,chargé de médiation, qui nous a permis d’apprécier au mieux les oeuvres exposées. Son éclairage a suscité des échanges nombreux et enrichissants, et chacun a pu s’approprier ces compositions mêlant les univers des deux artistes.

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