1 – Avant d’être un mythe, FAUST est une figure emblématique de la Renaissance
Cette figure exprime les tensions intellectuelles et les bouleversements spirituels tout autant que les audaces manifestées par certains auteurs majeurs du temps de l’ Humanisme et de la Renaissance : Marcile Ficin, Erasme, Machiavel ou Luther pour ne citer que les plus connus.
La biographie de Faust
Faust serait né en Allemagne en 1480, contemporain de Luther, avec le même type de situation sociale que Luther. Ses parents, des paysans aisés, se préoccupent de son ascension sociale et de sa formation intellectuelle. S’il devient sans difficulté docteur en théologie, il étudie également la médecine, l’astrologie, l’astronomie, les mathématiques. Parallèlement, Luther étudie la philosophie à l’ université où il est ordonné prêtre en 1507. Faust a maintes fois l’occasion d’entendre les sermons de Luther et d’assister aux prémices et au déclenchement de la Réforme. S’il n’hésite pas lui aussi à dénoncer les abus du pape et de la hiérarchie ecclésiastique, il ne s’intéresse pas à la question du salut. Et il se détourne, conteste même la prédication de Luther centrée, sans relâche, sur la peur du diable, pour prêcher la justification par la foi. Ainsi, ce qui l’intéresse se situe du côté des secrets de la nature. Réceptif aux exigences des humanistes qui sont soucieux de lire les textes dans leur langue d’origine, hébraïque et grecque, il prend très tôt conscience de l’importance des écrits antiques occultés jusque-là par le christianisme. Il décide aussi de voyager partout en Europe. Satisfait de cette vérification expérimentale des connaissances permise par ses voyages, Faust applique une méthode identique à la connaissance du cosmos : il observe le ciel. Il explique les causes des saisons, ainsi que les phénomènes météorologiques : le tonnerre, les orages ou les pluies diluviennes.
Il acquiert donc une grande notoriété et il passe aussi pour un homme dangereux
- Astrologue confirmé de haute réputation, il est sollicité par les plus hauts seigneurs, des évêques et même Charles Quint.
- Pourtant, sa renommée ne va pas sans inquiéter les autorités. On lui interdit l’entrée de certaines villes, tant ses pratiques et ses propos semblent dangereux et sulfureux.
- Faust n’est pas unique au 16e siècle. Ainsi, par exemple, Paracelse est resté fort célèbre. Il choisit la méthode expérimentale. Adepte de la médecine par les plantes, il osa mettre à l’épreuve les effets curatifs de l’arsenic, du soufre, du cuivre, pris en quantité infinitésimale .
- Faust, bien décidé, à restaurer la VIRTU antique, a le courage d’affronter la vérité au risque d’y trouver la mort. Il préfère avoir recours à la raison et à ses sens et fait confiance à son libre arbitre pour sortir du carcan mental entretenu par l’église au détriment des progrès de l’esprit scientifique.
- Personnage hors du commun, animé d’un désir irrépressible de connaissances, tenté par l ‘athéisme et doté d’un redoutable esprit critique, Faust aurait eu dans un autre contexte l’étoffe d’un héros mû par un consentement exemplaire à la vie, par delà tout découragement.
Bref, Faust est indissociable du contexte historique de la Renaissance et de ses grands bouleversements : celui de la place de la terre dans l’univers, celui de la place de l’homme qui redevient la mesure de toute chose, comme dans l’antiquité. Ainsi, la figure virtuelle de Faust témoigne de l’inquiétude des hommes de la Renaissance, écartelés entre la conservation rassurante de l’ordre établi, même corrompu, et sa transgression indispensable, bien que très angoissante, pour penser un monde ouvert sur l’inconnu.
2 – La première biographie fictive de FAUST
La première biographie fictive du docteur Faust paraît en Allemagne en 1587. L’éditeur et l’auteur anonyme utilisent moult précautions afin de rassurer les puissances religieuses. En réalité, il s’agit d’un véritable brûlot. Le contenu de Historia est en fait un ouvrage paradoxal qui, sous couvert de mettre en garde le bon chrétien contre une attirance pour la magie, excite en fait la curiosité et suscite l’identification à Faustus, homme qui ose réaliser ce que chacun rêve secrètement de pouvoir faire. Historia met donc en évidence l’inanité de la peur du diable en la ridiculisant, ce qui incite tout lecteur attentif à se débarrasser de l’angoisse du Jugement dernier. Ainsi, ce premier récit biographique fictif permet à Faust de devenir une figure littéraire séduisante. Figure d’exemple plutôt que figure répulsive, Faust a pour effet de favoriser l’audace consistant à s’aventurer hors des sentiers autorisés malgré les risques encourus .
3 – FAUST va acquérir une certaine renommée à partir de l’Historia von D. Johann FAUSTUS
Il va devenir un personnage littéraire et théâtral qu’on joue sur les places de marché, dans les foires. Il contribue à se mettre à distance du danger par le rire partagé et libérateur, étayé par le recours au surnaturel. Il est une sorte de remise en cause de l’idéologie dominante, une démystification. Il va bientôt devenir aussi une réflexion sur la condition humaine.
4 – Le mythe de FAUST va avoir une longue postérité puisque, du 16e siècle à nos jours, ce mythe hante toujours l’esprit des hommes
- De très nombreux écrivains se sont penchés sur ce mythe : MARLOWE, LESSING, BYRON, GOETHE, HEINE, GERARD DE NERVAL, VALERY, THOMMAS MANN …
- Dans le domaine pictural, les plus connus : l’alchimiste de REMBRANDT, les dessins de DELACROIX
- Dans le domaine musical, MENDELSOHN, BERLIOZ, GOUNOD.
5 – SYLVAIN CREUZEVAULT s’inspire beaucoup, dans sa pièce, du mythe tel que Goethe l’a écrit
- Goethe a été habité toute sa vie par la figure de Faust : drame commencé, abandonné, repris, modifié, développé et amplifié .
- Goethe va s’inspirer de deux expériences : une expérience universitaire, à savoir la prise de conscience de la vacuité du savoir enseigné à l’université et une expérience personnelle, la culpabilité d’avoir aimé et abandonné Frédérique Brion, la fille du pasteur de Sessenheim, village situé au nord de Strasbourg. En effet, à la même époque, une jeune fille qui avait été séduite, avait tué son enfant et avait été condamnée à mort.
- Goethe a écrit deux FAUST :
- Dans le premier Faust, Faust est un alchimiste qui, depuis son plus jeune âge, rêve de posséder la connaissance universelle, le rêve de tous les hommes. Il met tout en oeuvre pour atteindre ses ambitions, mais n’y parvient pas. Il est au bord du suicide, car il pense avoir perdu et son temps et sa vie. Il utilise alors en dernier recours l’aide de Méphistophélès qui lui propose un pacte : il réalisera tous ses désirs en échange de son âme, dès que Faust se dira satisfait et heureux dans un délai de 24 heures. L ‘alchimiste accepte. Faust est toujours insatisfait, alors Méphistophélès lui fait rencontrer une jeune fille, Marguerite. Ils tombent amoureux l’un de l’autre. Ils ont une relation amoureuse qui rendra Marguerite enceinte. Le frère de Marguerite affronte Faust en duel pour laver l’honneur de la famille, mais il meurt. Faust doit donc fuir la ville et laisse marguerite enceinte et cible des ragots de toute la ville. Elle est emprisonnée et condamnée à mort pour infanticide. Faust sera finalement sauvé grâce à Marguerite, car elle est religieuse et a prié pour lui.
- Dans le second Faust, Faust épouse Hélène de Troie, la représentante de la beauté classique. De leur union naît Euphorion, symbole du génie poétique. Le dernier vers de cette seconde partie de Faust conclut « L’éternel féminin nous élève ».
- La vie de Faust telle qu’elle a été réévaluée par Goethe, démontre que l’individu est voué à l’ autonomie et qu’il peut s’émanciper du carcan, du prêt-à-penser politique, religieux et idéologique, grâce à la poésie.
6 – La pièce de SYLVAIN CREUZEVAULT
- SYLVAIN CREUZEVAULT choisit de mettre en scène 3 trames de Faust : un docteur en neurologie né en Allemagne, une biologiste généticienne née en France et un musicien qui veut devenir chef d’état. Ils ont tous entre 40 et 50 ans et l ‘action a lieu dans notre société.
- Partant du postulat que désormais, » la société marchande fait du savoir un pouvoir et une solitude« , une marchandise en somme, « UN porteur de savoir peut-il faire et découvrir un lieu, construire un pays où l’usage de son savoir ne s’achève pas en amertume et en corruption ? » nous demande Sylvain CREUZEVAULT.
- D’emblée, nous voyons ces savants ridiculisés. L’un s’occupe de souris depuis trois ans sans que cela mène vers une quelconque découverte. L’autre, la généticienne, qui vient d’obtenir une récompense internationale, se ridiculise devant nous. Plus loin, elle sera prise d’une crise de folie.
- Aujourd’hui, les informations nous arrivent de partout, nous sommes extrêmement sollicités par toutes les nouvelles qui nous arrivent. Comment peut-on faire la part des choses ? Dans la pièce que nous allons voir, il y a sans arrêt des changements de plateaux, sorte de métaphores des connaissances qui nous assaillent : nous verrons des zadistes, les élections présidentielles, une bataille de Mossoul….
- Dans cette pièce, tout le monde semble corrompu : le pouvoir, les savants, les médecins, les politiques …
- Dans le mythe, le pacte permet à Faust de devenir tout ce qu’il n’est pas. « Nous le renversons, dit le metteur en scène. Dans nos sociétés, nous n’avons plus de démons qui incitent à la transgression de l’ordre établi. Le metteur en scène affirme que nous manquons de démons. Il remplace Méphistophélès par Baal, seigneur des mouches qui est le monstre de la destruction.
- Le titre de la pièce est Angelus Novus Antifaust : un nouvel ange Du mythe initial, le petit enfant mort sort des cieux pour venir condamner ses parents. Faust et Marguerite se retrouvent en enfer .
- L’ invitation des démons sur les planches devient une excitation au voyage, un éloge du pire visiteur du soir : Lucifer.